L’assujettissement d’une caisse de pension de droit public au droit des marchés publics cantonal

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ATF 142 II 369 –  TF, 18.07.2016, 2C_6/2016*

Faits

La « Caisse de pension argovienne » (Caisse) conclut un contrat avec un bureau d’architecte pour des prestations d’architecture relative à l’entretien et l’assainissement d’un certain nombre de ses immeubles, pour un total de 300’000 francs. Suite à une demande d’information d’un tiers, la Caisse refuse de considérer le contrat comme devant faire l’objet d’un appel d’offres public. Le tiers recourt au Tribunal administratif, qui admet le recours et constate que l’adjudication du contrat portant sur les prestations d’architecte n’était pas régulière. La Caisse dépose alors un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si la Caisse est assujettie au droit des marchés publics pour l’adjudication de travaux d’entretien sur des biens-fonds faisant partie de sa fortune de placement en vertu du droit cantonal et, cas échéant, si le droit cantonal est compatible avec la législation en matière de prévoyance professionnelle.

Droit

A titre préliminaire, le Tribunal fédéral examine d’office si l’assujettissement au droit des marchés publics résulte de l’Accord OMC sur les marchés publics, plus particulièrement de l’Appendice I, annexe 2, ch. 2 qui assujettit les « organismes de droit public établis au niveau cantonal n’ayant pas un caractère commercial ou industriel » (cf. ég. art. 8 al. 1 let. a AIMP). Est qualifié comme tel tout organisme créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial (i) ; doté d’une personnalité juridique (ii) et dont soit l’activité est financée majoritairement par l’Etat, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composée de membres dont plus de la moitié est désignée par l’Etat, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public (iii). Si les deux premières conditions sont remplies en l’espèce (la Caisse est une personne morale de droit public fondée par un décret cantonal à des fins de prévoyance professionnelle et n’a pas de caractère commercial dès lors que 55 % de ses assurés le sont en vertu de la loi), la troisième fait défaut. Elle n’est en effet ni financée majoritaire par l’Etat (les cotisations sont faites en échange de prestations d’assurance) ni soumise à son contrôle de l’Etat (les possibilités d’influence sont limitées à celles dont dispose tout employeur à l’égard de sa caisse de pension) et ses organes dirigeants ne sont pas majoritairement composés de membres désignés par l’Etat (cf. art. 51 LPP). Dès lors, son assujettissement au droit des marchés publics ne résulte pas de l’Accord OMC.

En revanche, le Tribunal fédéral estime que l’instance précédente n’a pas interprété arbitrairement le droit cantonal assujettissant « le canton et ses établissements » au droit des marchés publics en y incluant la Caisse, qui est incontestablement un établissement. Il doit en conséquence déterminer si cette réglementation est compatible avec la LPP et les art. 111, 113 Cst. En matière de prévoyance professionnelle, les art. 111 et 113 Cst attribuent à la Confédération une compétence concurrente. Dans la mesure où la Confédération a fait usage de sa compétence législative, les cantons n’ont ainsi plus le droit d’édicter des dispositions dérogeant au droit fédéral. Néanmoins, il est possible qu’un seul et même état de fait soit réglé sous des aspects différents par le droit fédéral et le droit cantonal, tant que celui-ci ne contredit pas ni n’entrave pas le but recherché par le droit fédéral.

La LPP ne contient aucune mention explicite relative à l’applicabilité du droit cantonal des marchés publics aux institutions de prévoyance. Le Tribunal fédéral doit donc examiner si le droit des marchés publics poursuit les mêmes objectifs que ceux exhaustivement réglementés par le droit fédéral ou si l’assujettissement aux marchés publics entrave ou empêche la réalisation de l’activité de placement prévue par le droit fédéral.

S’agissant du premier point, le Tribunal fédéral reconnaît que la LPP et l’OPP 2 contiennent une réglementation exhaustive sur la manière dont la fortune d’une institution de prévoyance doit être placée (art. 51a, 51b, 52c, 62 et 71 LPP ; art. 50 OPP 2). Cette réglementation, visant la sécurité et le rendement suffisant des placements, ne poursuit néanmoins pas le même objectif que le droit des marchés publics, destiné à assurer l’adjudication économique et sans discrimination de mandats. Le droit des marchés publics a ainsi au moins partiellement un autre champ de réglementation que le droit de la prévoyance et reste applicable en parallèle, pour autant qu’il n’entrave ou n’empêche pas la réalisation de son sens et de son but.

En ce qui concerne le deuxième point, le Tribunal fédéral constate que la soumission au droit des marchés publics a pour conséquence que la procédure se complique, se prolonge, voire se suspend en cas de recours avec effet suspensif. En matière d’acquisition de fortune de placement, l’institution de prévoyance se trouve en concurrence avec d’autres acquéreurs potentiels et doit être apte à conclure rapidement des actes judicieux. De ce point de vue, le droit des marchés publics se trouve certes dans une certaine tension par rapport au droit de la prévoyance. Toutefois, ce n’est pas l’acte de placement lui-même qui est en cause ici, mais les contrats relatifs à l’entretien et aux travaux des immeubles. Or, il n’est pas établi dans quelle mesure l’attribution des marchés de travaux par le biais d’une mise en soumission publique porterait gravement atteinte à la gestion économique des immeubles. Dès lors, l’assujettissement de la Caisse pour ce type de travaux ne porte pas atteinte à l’objectif du droit de la prévoyance ni ne rend difficile à l’excès sa réalisation. L’instance précédente n’a donc pas violé la LPP ou les art. 111, 113 Cst en constatant l’assujettissement de la Caisse. Dès lors, le Tribunal fédéral confirme sa décision rejette le recours.

Note

La Caisse invoque également une violation de sa liberté économique (art. 27 Cst.). C’est l’occasion pour le Tribunal fédéral de rappeler que la question de la titularité de ce droit pour une entreprise de droit public ou une collectivité agissant sur la plan économique n’a pas été tranchée pour l’heure et ne le sera pas à l’occasion du cas d’espèce, dès lors que la Caisse ne se trouve pas dans un rapport de concurrence avec les caisses privées puisque la majorité de ses assurés lui sont attribués en vertu de la loi.

Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, L’assujettissement d’une caisse de pension de droit public au droit des marchés publics cantonal, in : www.lawinside.ch/316/