L’élection de compétence matérielle

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ATF 142 III 623 |TF, 05.10.2016, 4A_242/2016*

Faits

Un entrepreneur total s’engage à ériger un ouvrage immobilier sur trois parcelles appartenant à son cocontractant lequel est promoteur immobilier. Les deux parties sont inscrites au registre du commerce. Dans le contrat d’entreprise totale, les parties se sont engagées à porter leurs litiges devant le tribunal de commerce du Canton de Zurich (art. 6 CPC).

Après avoir reçu l’ouvrage de l’entrepreneur, le promoteur immobilier le constitue en propriété par étages et vend les parts d’étage à une série d’acheteurs. Le promoteur immobilier (cédant) cède par ailleurs les droits à la garantie qu’il a contre l’entrepreneur total (débiteur cédé) aux acquéreurs (cessionnaires).

Par la suite, un défaut apparaît sur les parts d’étages. Les propriétaires d’étages (cessionnaires) exercent les droits à la garantie qu’ils ont reçus du promoteur immobilier (cédant) et ouvrent action contre l’entrepreneur total (débiteur cédé).

Ils introduisent action devant le tribunal de district, lequel déclare l’action irrecevable en estimant qu’il appartient au tribunal de commerce de connaître de l’action. Sur appel des propriétaires d’étages, le Tribunal cantonal de Zurich annule la décision d’irrecevabilité et renvoie la cause au tribunal de district.

L’entrepreneur total recourt au Tribunal fédéral qui est amené à déterminer si l’élection de compétence matérielle convenue par les parties dans le contrat d’entreprise totale est valable.

Droit

L’art. 6 al. 3 CPC dispose que « [l]e demandeur peut agir soit devant le tribunal de commerce soit devant le tribunal ordinaire, si toutes les conditions [énumérées à l’al. 2] sont remplies mais que seul le défendeur est inscrit au registre du commerce suisse ou dans un registre étranger équivalent ».

Se référant à l’ATF 138 III 694, le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 6 al. 3 CPC permet uniquement au demandeur qui n’est pas inscrit au registre du commerce de choisir entre le tribunal de commerce et le tribunal ordinaire. Le défendeur qui est inscrit au registre du commerce ne bénéficie pas d’une telle possibilité.

Selon le Tribunal fédéral, on ne saurait déduire de l’art. 6 al. 3 CPC un droit à l’élection de la compétence matérielle. Une telle élection de droit contreviendrait aux normes qui déterminent – souvent en faveur d’une partie faible – la compétence matérielle des tribunaux.

Le Tribunal fédéral appuie sa position sur les règles en matière d’élection de for et en particulier sur l’art. 35 CPC. Cette disposition énumère une série de fors semi-impératifs. Aux termes de cet article, la partie faible ne peut renoncer à ces fors par avance ou par acceptation tacite. Elle ne saurait ainsi se priver par contrat de la protection que lui accorde le législateur.

Par conséquent, le Tribunal fédéral estime qu’en l’espèce, la clause convenue entre les parties au contrat d’entreprise totale ne peut pas priver les propriétaires d’étages du droit d’option qui leur appartient aux termes de l’art. 6 al. 3 CPC.

Ce faisant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note

Cet arrêt appelle trois remarques :

Premièrement, pour faire suite à l’argumentation développée par l’entrepreneur total dans son recours, le Tribunal fédéral considère que l’art. 6 al. 3 CPC ne consacre pas un droit à l’élection de la compétence  matérielle, ce qu’on ne saurait critiquer. Cependant, il n’était pas obligé de trancher cette question. Comme l’a fait l’instance cantonale, il aurait pu se contenter de constater que les propriétaires d’étages ont valablement exercé leur droit d’option au sens de l’art. 6 al. 3 CPC. En se prononçant sur cette question, le Tribunal fédéral consacre le principe de l’invalidité des clauses d’élection de compétence matérielle.

Deuxièmement, alors qu’en principe c’est le tribunal de commerce qui aurait dû connaître des litiges découlant du contrat d’entreprise totale, l’entrepreneur est privé de la possibilité d’être attrait devant cette juridiction spécialisée par l’effet de la cession passée entre le promoteur et les acquéreurs de parts (res inter alios acta). On ne peut que regretter que le Tribunal fédéral n’ait pas analysé la question qui lui était soumise à la lumière de l’art. 170 CO lequel prévoit que la cession d’une créance entraîne la cession de ses accessoires. Sur la base de cette disposition, le Tribunal fédéral estime par exemple que lorsque le cédant et le débiteur cédé sont liés par une clause d’élection de for, celle-ci est opposable au cessionnaire qui acquiert la créance (ATF 128 III 50). Cela découle du fait que le débiteur cédé (dans le cas d’espèce, l’entrepreneur total) n’est pas partie à la convention de cession et que dès lors, il ne saurait souffrir du fait que son partenaire contractuel (en l’espèce le promoteur) cède ses droits à un tiers (en l’occurrence les acquéreurs de parts) sans son accord (art. 164 CO).

Troisièmement, à ce jour, il ressort de la jurisprudence – contestable (pour une synthèse des critiques de la doctrine, cf. Arnaud Nussbaumer, La cession des droits de garantie, th. Fribourg, Genève/Zurich/Bâle 2015, N 117 ss) – du Tribunal fédéral que sur les trois droits alternatifs à la garantie de l’art. 368 CO, seul le droit à la réfection de l’ouvrage est cessible ; les droits à la réduction et à la résolution sont incessibles (en part. ATF 114 II 239). Partant, lorsqu’il ressort de l’état de fait présenté par le Tribunal fédéral que le promoteur immobilier cède ses droits à la garantie aux acquéreurs de parts, il ne s’agit en fait que de la cession du droit à la réfection de l’ouvrage (et du droit cumulatif à la réparation du dommage consécutif au défaut).

Proposition de citation : Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, L’élection de compétence matérielle, in : www.lawinside.ch/350/

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