La renonciation à porter plainte pénale et le droit à l’information de la victime

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TF, 08.08.2022, 1B_694/2021

La renonciation à porter plainte au sens de l’art. 120 CPP n’est pas définitive lorsque la personne a été induite à faire sa déclaration par une information inexacte des autorités (art. 386 al. 3 CPP p.an.). Tel est notamment le cas lorsque la victime n’a pas été informée de ses droits conformément à la LAVI (art. 305 CPP).

Faits

Le 13 février 2021, un ressortissant marocain, requérant d’asile en Suisse, arrive en état d’ébriété au Centre fédéral pour requérants d’asile (CFA) de Boudry à Neuchâtel. Deux agents de sécurité privés le placent dans un container de dégrisement, dans lequel se trouvent déjà deux autres personnes.

Peu de temps après, une altercation survient entre les trois individus. Torse nu et agité, le ressortissant marocain est placé par les agents dans un autre container qui n’a pas été préalablement chauffé. Il subit un malaise et est emmené à l’hôpital en ambulance.

Le lendemain, il est entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements, en présence d’un interprète. En début d’audition, la police ne l’informe pas de ses droits en qualité de victime et lui indique qu’il peut être assisté d’un avocat de son choix, à ses frais. Il renonce ainsi à l’assistance d’un conseil juridique.

Lors de son audition, il déclare être fatigué et n’avoir dormi qu’une heure. A la question de savoir s’il a quelque chose à reprocher aux agents de sécurité, il déclare notamment : « Pour vous répondre, je ne souhaite pas déposer plainte contre les deux agents ». A l’issue de l’audition, il signe un formulaire de police comportant la rubrique : “Renonciation de porter plainte (art. 30 al. 5 CP)” et indique : « Je renonce expressément à porter plainte contre : Inconnu, Concernant : Vol, menaces. Je prends note que la renonciation est définitive et que je ne peux porter plainte à nouveau ».

Le 15 février 2021, le Ministère public de Neuchâtel ouvre une instruction contre des agents de sécurité, inconnus, chargés de la sécurité du CFA de Boudry, pour exposition (art. 127 CP), éventuellement omission de prêter secours (art. 128 CP), subsidiairement pour lésions corporelles graves (art. 122 CP).

Le 30 mars 2021, le requérant d’asile porte plainte pénale et dénonciation pénale contre inconnus auprès du Ministère public de Neuchâtel et déclare vouloir participer à la procédure comme partie plaignante au pénal et au civil.

Le Ministère public rejette sa qualité de partie plaignante, au motif qu’il aurait définitivement renoncé à porter plainte pénale lors de son audition.

Sur recours du requérant d’asile, cette décision est confirmée par l’Autorité de recours en matière pénale du Tribunal cantonal de Neuchâtel. Saisi d’un recours contre cet arrêt, le Tribunal fédéral doit se déterminer sur la validité de la renonciation à porter plainte.

Droit

Dans un premier temps, le Tribunal fédéral se penche sur le devoir de la police et du ministère public d’informer la victime de ses droits, prévu à l’art. 305 CPP.

La victime doit en particulier être informée de ses droits au sens de la LAVI (droit de s’adresser aux centres de consultation LAVI et d’y bénéficier des prestations gratuites, prise en charge des frais d’un défenseur etc.), ainsi que de la possibilité de se constituer partie plaignante, en déclarant expressément vouloir participer à la procédure pénale. Pour déterminer si une personne peut être qualifiée de victime, il convient de se fonder sur les allégués du lésé, et sur la vraisemblance des actes et de l’atteinte.

En l’espèce, la police ne pouvait pas ignorer le statut de victime du requérant d’asile. En effet, il ressort de son audition qu’il a été “traité comme un animal”. Il a par ailleurs été emmené à l’hôpital. Par conséquent, la police aurait dû l’informer de ses droits au sens de la LAVI. Sans ces informations, il ne pouvait pas savoir qu’il disposait de la qualité de partie plaignante. Par ailleurs, la police lui a donné une information inexacte, en indiquant qu’il pouvait faire appel à un défenseur de son choix à ses frais (et non gratuitement comme prévu par la LAVI).

Ainsi, le Tribunal fédéral constate une violation de l’art. 305 CPP.

Dans un deuxième temps, le Tribunal fédéral examine si le requérant a définitivement renoncé à porter plainte contre les agents de sécurité lors de son audition.

L’art. 120 CPP prévoit que le lésé peut en tout temps déclarer par écrit ou par oral qu’il renonce à user des droits qui sont les siens. Pour que la renonciation soit valable, elle doit être exprimée de façon claire et sans équivoque. Une renonciation déduite des circonstances, d’un comportement, d’actes concluants ou d’une absence de réaction est exclue, à moins que l’ayant droit ait été informé en conséquence. La renonciation est définitive. L’autorité doit s’assurer que la partie plaignante entend bel et bien renoncer à ses droits, au moyen le cas échéant de formulaires préimprimés.

En vertu de l’art. 386 al. 3 CPP applicable par analogie à l’art. 120 CPP, une renonciation ou un retrait sont définitifs, sauf si la partie a été induite à faire sa déclaration par une tromperie, une infraction ou une information inexacte des autorités.

En l’espèce, le requérant d’asile n’a pas formellement déclaré vouloir renoncer à ses droits, mais s’est contenté d’indiquer ne pas souhaiter porter plainte. Ses propos ont d’ailleurs été traduits par un interprète et non par un juriste. De plus, la police n’a pas fait signer au requérant d’asile un formulaire de renonciation pour les faits reprochés aux agents de sécurité.

A cela s’ajoute le fait que son audition s’est déroulée quelques heures après les faits, et qu’il n’avait dormi que quelques heures. En outre, étant arrivé en Suisse depuis quelques mois seulement, il n’a probablement pas fait la différence ente des autorités de poursuite pénales et les agents de sécurité à l’origine de son hospitalisation. Il n’est donc pas exclu qu’il ait pu craindre des représailles en cas de dépôt de plainte.

Par conséquent, le Tribunal fédéral constate que le requérant d’asile n’a pas été informé de ses droits de victime et a été induit à faire sa déclaration par une information inexacte de la police. Par conséquent, il ne peut être retenu qu’il a renoncé à son droit de porter plainte (art. 386 al. 3 CPP p.an.).

En conclusion, le Tribunal cantonal a constaté de manière arbitraire les faits (l’examen de la volonté d’une personne est une question de fait, examinée sous l’angle de l’arbitraire uniquement selon l’art. 105 al. 1 LTF) et violé l’art. 386 al. 3 CPP en considérant que le recourant avait renoncé à ses droits procéduraux en vertu de l’art. 120 CPP.

Note

Le Tribunal fédéral insiste sur la nécessité d’une renonciation « libre et éclairée ».

Ainsi, quiconque entend renoncer à ses droits, ne doit pas subir de contrainte ni de pression. En l’espèce, le Tribunal fédéral juge qu’il n’est pas exclu que le requérant d’asile ait pu craindre des représailles en cas de dépôt de plainte contre les agents. Partant, sa renonciation ne semble pas « libre ».

Afin d’être « éclairée », la renonciation doit être précédée d’une information complète et adéquate. En l’espèce, tel n’est pas le cas, car le requérant d’asile n’a pas été avisé de ses droits de victime. Il ne pouvait dès lors pas savoir qu’il disposait de la possibilité d’acquérir le statut de partie plaignante et du droit d’avoir un avocat, ni a fortiori renoncer à porter plainte.

Proposition de citation : Ariane Legler, La renonciation à porter plainte pénale et le droit à l’information de la victime, in : https://www.lawinside.ch/1226/