L’intervention directe d’une norme cantonale dans les relations entre bailleurs et locataires

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ATF 149 I 25 | TF, 19.12.2022, 1C_759/2021*

Une disposition cantonale selon laquelle l’autorisation de transformer, de rénover ou d’assainir un immeuble en période de pénurie de logements serait soumise à la condition que tous les locataires bénéficient d’un droit de retour est incompatible avec le droit fédéral. Il s’agit d’une intervention directe dans les relations entre bailleurs et locataires (art. 122 al. 1 Cst, art. 109 Cst).

Faits

Le 28 novembre 2021, les électeurs et électrices du canton de Bâle-Ville ont accepté l’initiative populaire « JA zum ECHTEN Wohnschutz ! ». Cette initiative prévoit la modification de plusieurs dispositions de la loi cantonale sur l’aide au logement (WRFG/BS). L’art. 8a WRFG/BS prévoit, en particulier, que tous les projets de transformation, de rénovation et d’assainissement qui dépassent l’entretien ordinaire sont soumis à autorisation en période de pénurie de logements. L’autorisation est en particulier soumise à la condition que les locataires aient un droit de retourner dans l’immeuble rénové ou transformé (« Rückkehrrecht »).

Un particulier exerce un recours en matière de droit public (art. 82 lit. b LTF cum art. 87 al. 1 LTF) contre cette modification partielle auprès du Tribunal fédéral, qui doit se prononcer sur sa conformité au droit supérieur.

Droit

Le Tribunal fédéral rappelle que lorsque la compatibilité d’un acte normatif cantonal avec le droit supérieur est en cause, l’élément déterminant dans le cadre du contrôle abstrait est de savoir si, selon les règles d’interprétation applicables, il est possible d’attribuer à la norme en cause un sens qui la rende conforme aux normes supérieures invoquées.

Le Tribunal fédéral n’annule une norme cantonale que si elle se soustrait à toute interprétation conforme au droit supérieur. Dans l’analyse de la conformité, il convient d’examiner en détail la portée de l’atteinte au droit, la possibilité d’une protection suffisante en cas de contrôle ultérieur de la norme, les circonstances concrètes de son application et les effets sur la sécurité juridique.

Le recourant ne motivant suffisamment que l’inconstitutionnalité du seul art. 8a WRFG/BS, le Tribunal fédéral n’examine que ce grief. Selon le recourant, le droit de retour, qui constitue une condition pour l’octroi d’une autorisation de procéder aux travaux qui dépassent l’entretien ordinaire, constitue une intervention directe dans la relation entre bailleurs et locataires. En conséquence, il violerait l’art. 122 al. 1 Cst, qui prévoit que la législation en matière de droit civil relève de la compétence de la Confédération. La compétence particulière en matière de lutte contre les loyers abusifs, accordée à la Confédération par l’art. 109 al. 1 Cst, ayant été utilisée de manière exhaustive, elle ne permettrait pas l’application de l’art. 8a WRFG/BS.

Le droit civil fédéral règle les contrats entre bailleurs et locataires de manière exhaustive. Les cantons restent toutefois libres de prendre des mesures proportionnées pour lutter contre la pénurie de logements, par exemple en soumettant à autorisations certaines transformations ou en contrôlant le montant des loyers pendant une période déterminée, même si cela peut indirectement influencer les relations entre bailleurs et locataires (c. 4.2.2). Les interventions directes sont en revanche interdites. En l’occurrence, la question du droit de retour des locataires pose problème.

Le Tribunal fédéral doit déterminer s’il a affaire à une norme de droit public ou de droit privé. Selon la théorie des intérêts (Interessentheorie), la disposition litigieuse sert les intérêts privés des anciens locataires, et non un intérêt public prépondérant. En effet, le droit de retour n’est pas limité à certains types de logements ni à certaines personnes qui auraient un besoin particulier de protection, ni encore à des espaces géographiques précis. L’art. 8a WRFG/BS constituerait donc une disposition de droit privé. Les théories des fonctions (Funktionstheorie) et de la subordination (Subordinationstheorie) conduisent à la même conclusion.

La protection contre les congés abusifs étant réglée exhaustivement par le droit civil fédéral (ATF 113 Ia 126 c. 9d), l’art. 8a WRFG/BS constitue une intervention directe inadmissible dans la relation entre bailleurs et locataires. Il est donc contraire au droit fédéral (art. 49 Cst, art. 109 Cst et art. 122 Cst). Partant, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours et abroge l’art. 8a WRFG/BS.

Proposition de citation : Camille de Salis, L’intervention directe d’une norme cantonale dans les relations entre bailleurs et locataires, in : https://www.lawinside.ch/1276/