Les parloirs intimes des personnes détenues

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TF, 03.01.2024, 7B_471/2023*

Une disposition cantonale prévoyant des critères de stabilité et de durée d’une relation pour qu’une personne détenue puisse bénéficier de parloirs intimes n’est pas contraire au droit supérieur.

Faits

Après un peu plus d’une année en détention provisoire, un détenu commence à exécuter sa peine de manière anticipée. Par la suite, il demande à pouvoir bénéficier de parloirs intimes avec son amie.

Après la condamnation de l’intéressé en appel à une peine privative de plus de quatre ans, la Direction de la prison dans laquelle il est incarcéré rejette sa demande de parloirs intimes.

La Direction du Service pénitentiaire du canton de Vaud rejette le recours formé par le condamné contre cette décision, ainsi que sa demande d’assistance judiciaire. La Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois en fait de même.

L’intéressé saisit le Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur la conformité au droit supérieur d’une disposition cantonale prévoyant des critères de stabilité et de durée quant à la relation de la personne détenue pour qu’elle puisse bénéficier de parloirs intimes.

Droit

Aux termes de l’art. 82 al. 5 du Règlement vaudois du 16 août 2017 sur le statut des personnes condamnées exécutant une peine privative de liberté ou une mesure (RSPC/VD), pour pouvoir bénéficier d’une rencontre privée, les personnes condamnées doivent justifier d’une relation stable, antérieure à leur incarcération, avec leur partenaire. Si la relation n’est pas antérieure à leur incarcération, elle doit, au moment où la rencontre privée est sollicitée, durer depuis au moins 6 mois.

Le recourant argumente que le refus fondé sur cette disposition constituerait une atteinte illicite à son droit au respect de sa vie privée et familiale (art. 8 CEDH, art. 13 Cst., art. 84 CP) et conteste la conformité du droit cantonal vaudois au droit supérieur, en raison des critères posés par l’art. 82 al. 5 RSPC/VD (en particulier la stabilité et la durée). Le Tribunal fédéral commence donc par examiner la constitutionnalité de cette disposition, ce qu’il peut faire dans le cadre d’un contrôle concret.

Grâce aux garanties de liberté personnelle et du droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH et art. 13 Cst.), les personnes détenues ont le droit d’entretenir des contacts avec les membres de leur famille (notion de fait qui englobe également les relations personnelles étroites et suffisamment constantes, en dehors de tout lien marital), dans les limites découlant de la mesure de contrainte qui leur est imposée et du rapport de droit spécial qui les lie à l’Etat (ATF 149 I 161, c. 2.2, résumé in LawInside.ch/1316). À cet égard, le Tribunal fédéral rappelle que les garanties figurant dans la CEDH n’offrent pas une protection plus étendue que celles qui découlent de l’art. 13 Cst. concernant les personnes détenues.

En particulier, le Tribunal fédéral note que, bien que saluant la pratique de certains Etats membres d’autoriser les parloirs intimes des personnes détenues, la CourEDH ne l’exige pas de leur part. Les Etats membres disposent donc d’un large pouvoir d’appréciation à cet égard.

L’art. 84 al. 1 CP prévoit que la personne détenue a le droit de recevoir des visites et d’entretenir des relations avec le monde extérieur. Les relations avec les amis et les proches doivent être favorisées. Des restrictions sont possibles, en particulier pour des raisons d’ordre et de sécurité de l’établissement (art. 84 al. 2 CP). Bien que cette norme ne traite pas des parloirs intimes, elle n’accorde pas en principe une protection plus étendue que celle qui découle du droit conventionnel et constitutionnel.

Il revient alors aux cantons de compléter les règles fédérales relatives aux relations extérieures, ce que le Canton de Vaud a fait, en particulier à l’art. 82 al. 5 RSPC/VD, en posant  le critère d’une relation stable et durable pour permettre un parloir intime, dans le cas où la relation a commencé avant l’incarcération, ou d’une durée d’au moins six mois, dans le cas où la relation a commencé après l’incarcération.

Le droit cantonal vaudois va donc déjà au-delà des garanties offertes par le droit supérieur et ne peut donc qu’être interprété de manière conforme à la CEDH et à la Cst., sans égard aux critères de durée et de stabilité qu’il prévoit. Même à travers les critères posés, il ne s’agit que de s’assurer que la personne détenue est au bénéfice d’une relation suffisamment étroite pour entrer dans la notion de « proche ».

En l’espèce, le recourant n’a pas suffisamment démontré l’existence d’une relation stable et durable qui le lierait à son amie. D’une part, il ne semble pas que les intéressés formaient un couple avant l’incarcération du recourant ; d’autre part, le peu de contacts que le recourant a entretenu avec son amie – qui réside à l’étranger – durant son incarcération plaide en défaveur de l’existence d’un couple. Le Tribunal cantonal vaudois n’a donc pas procédé à une appréciation arbitraire des preuves en refusant la demande de parloir intime du recourant.

Le Tribunal fédéral admet toutefois partiellement le recours s’agissant de la question de l’assistance judiciaire et renvoie la cause au Tribunal cantonal vaudois.

Proposition de citation : Camille de Salis, Les parloirs intimes des personnes détenues, in : https://www.lawinside.ch/1412/