Le contrôle systématique de la correspondance d’une détenue

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ATF 145 I 318TF, 20.05.2019, 1B_146/2019*

Le contrôle systématique de la correspondance d’une détenue fondé sur le Règlement vaudois sur le statut des personnes condamnées exécutant une peine privative de liberté ou une mesure répond à un intérêt public et respecte le principe de la proportionnalité. Il peut donc être ordonné dans les limites du droit conventionnel, constitutionnel et fédéral. 

Faits            

Une prévenue en détention provisoire à la prison de la Tuilière est autorisée par le Ministère public de l’arrondissement de Lausanne à exécuter de manière anticipée sa peine privative de liberté. Cette autorisation est tout d’abord assortie d’un contrôle du courrier et des conversations téléphoniques, puis, suite à un recours, uniquement d’un contrôle du courrier. Un second recours de la prévenue ayant été admis, le Ministère public autorise l’exécution anticipée sans préciser d’éventuelles restrictions.

Suite à cette décision, le défenseur de la prévenue demande à l’Office d’exécution des peines la levée immédiate des mesures de contrôle de sa correspondance. Sa demande est transmise à la prison de la Tuilière, dont la direction lui oppose un refus. Le recours déposé auprès du Service pénitentiaire (SPEN) est jugé irrecevable au motif que le courrier de la direction Tuilière ne constituerait pas une décision.

La Chambre des recours pénale rejette le recours de la prévenue, qui porte la cause devant le Tribunal fédéral. Celui-ci doit se prononcer sur la licéité du contrôle de la correspondance dont elle fait l’objet.

Droit

Après avoir admis la nature décisionnelle du courrier de la direction de la Tuilière et la recevabilité du recours, le Tribunal fédéral énumère les diverses bases légales applicables aux contacts des prévenus avec l’extérieur. Il rappelle ainsi que les art. 10 al. 1 Cst., 13 Cst. et 8 CEDH permettent aux personnes détenues d’entretenir des contacts avec leur famille dans les limites découlant de la mesure de contrainte qui leur est imposée et du rapport de sujétion spécial qui les lie à l’État, les restrictions à ce droit devant respecter les conditions de l’art. 36 Cst. A cet égard, la CEDH n’offre pas une protection plus étendue que la Constitution fédérale.

La Recommandation Rec (2006) 2 sur les Règles pénitentiaires européennes et la Recommandation Rec (2006) 13 concernant la détention provisoire, les conditions dans lesquelles elle est exécutée et la mise en place de garanties contre les abus contiennent également des dispositions relatives aux communications des personnes détenues, dont le Tribunal fédéral tient compte dans la concrétisation des droits fondamentaux (ATF 141 I 141). En particulier, toute restriction ou surveillance nécessaire des communications doit autoriser un niveau minimal acceptable de contact (règle 24.2 des Recommandations Rec (2006) 2).

Dans le régime de la détention avant jugement, la direction de la procédure contrôle le courrier entrant et sortant, à l’exception de la correspondance échangée avec les autorités de surveillance et les autorités pénales et, en principe, avec le défenseur du prévenu (art. 235 al. 3 et 4 CPP).

Dans le régime de l’exécution anticipée – comme dans celui de l’exécution – les relations du détenu avec le monde extérieur peuvent être surveillées, voire limitée ou interdites, pour des raisons d’ordre et de sécurité de l’établissement (art. 84 al. 2 CP). L’examen du contenu de la correspondance et des écrits de l’avocat n’est en principe pas permis (art. 84 al. 4 CP).

Dans le canton de Vaud, le Règlement vaudois sur le statut des personnes condamnées exécutant une peine privative de liberté ou une mesure (RSPC) est applicable aux personnes bénéficiant du régime de l’exécution anticipée en ce qui concerne les modalités d’exécution de leur détention. Il prévoit notamment que la correspondance envoyée et reçue par les détenus est contrôlée par l’établissement (art. 89 al. 3 RSPC) et remise ouverte (art. 89 al. 5 RSPC), hormis lorsqu’elle concerne les exceptions énumérées à l’al. 4.

La recourante ne fait en l’espèce l’objet d’aucun contrôle de sa correspondance allant au-delà des dispositions légales précitées. L’ouverture de son courrier constitue certes une ingérence dans son droit au respect de la confidentialité de sa correspondance, mais le Tribunal fédéral juge qu’elle garantit l’intérêt public au bon fonctionnement de l’établissement pénitentiaire, notamment sur le plan de la sécurité – ce que la doctrine ne remet d’ailleurs pas en cause. Il souligne en outre que les mesures prévues par les art. 89 al. 3 et 5 RSPC-VD sont conformes au principe de la proportionnalité  : un traitement différencié entre les détenus permettrait aisément de contourner la vérification des communications ; les autres moyens disponibles – soit notamment la palpation et le détecteur de métal – ne garantissent pas des résultats efficaces ; enfin, l’ouverture systématique du courrier permettrait également d’éviter certaines tensions entre les détenus.

Le Tribunal fédéral constate donc que le contrôle imposé à la recourante est conforme au droit. Partant, il rejette le recours.

Proposition de citation : Quentin Cuendet, Le contrôle systématique de la correspondance d’une détenue, in : https://www.lawinside.ch/775/