La légitimation passive du médecin opérant en milieu hospitalier
Il incombe au demandeur qui invoque la responsabilité du médecin à la suite d’une opération pratiquée en milieu hospitalier d’établir la légitimation passive de ce dernier. Pour ce faire, il doit établir l’existence d’un contrat de soins le liant au praticien, excluant que celui-ci ait pratiqué l’opération en tant qu’auxiliaire de l’établissement de soins dans l’exécution d’un contrat d’hospitalisation global.
Faits
En 2005, une femme âgée de 41 ans consulte un gynécologue dans son cabinet. Ce dernier procède à une échographie qui révèle la présence de myomes, soit des tumeurs bénignes affectant l’utérus de la patiente. Il lui propose de procéder à une myomectomie. La patiente y consent sans avoir été informée des complications éventuelles. L’opération est réalisée sous la direction du gynécologue à l’Hôpital de la Riviera. Le lendemain, la patiente est réopérée à la suite d’un saignement abdominal.
En 2007, une nouvelle échographie révèle chez la patiente la présence de trois nouveaux myomes qui n’étaient pas présents lors de l’opération en 2005. La patiente subit une nouvelle opération dirigée par le même gynécologue. Le lendemain, elle présente des douleurs abdominales. Il s’avère qu’elle souffre d’une péritonite causée par une brèche digestive de 3 mm. Elle est opérée par un autre médecin qui constate également une perforation du côlon.
En 2008, la patiente subit une importante éventration, soit le passage des intestins sous la peau. Elle est opérée par un autre médecin, qui lui pose un filet de 30 cm sur 30 cm.
En 2012, la patiente ouvre action civile contre le gynécologue et conclut au paiement de CHF 1’326’799.-, comprenant notamment une indemnité pour la perte de gain passée et future, ainsi qu’une indemnité pour tort moral. La Chambre patrimoniale du canton de Vaud rejette sa demande, déniant la légitimation passive du gynécologue. La patiente fait appel de cette décision au Tribunal cantonal, lequel admet la légitimation passive du médecin. Il rejette toutefois l’appel, considérant notamment que le consentement hypothétique de la patiente tient en échec la responsabilité du gynécologue. La patiente recourt contre cette décision au Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur la légitimation passive du gynécologue.
Droit
Une intervention chirurgicale hospitalière repose sur une relation tripartite qui implique le patient, le médecin et l’établissement de soins. Le régime de responsabilité applicable dépend avant tout du statut juridique de l’établissement.
Conformément à l’art. 61 al. 1 CO, le canton de Vaud a adopté une loi instaurant une responsabilité de droit public pour les actes des agents de l’État (LRECA/VD). Cette dernière prévoit une responsabilité causale exclusive de l’État (art. 4), à l’exclusion de toute responsabilité personnelle de l’agent (art. 5). Partant, si l’opération s’est déroulée dans un hôpital public (ou assimilé), il y a lieu de déterminer si c’est en qualité d’agent de l’État que le gynécologue a pratiqué l’opération litigieuse. Le cas échéant, sa légitimation passive devrait être niée.
Lorsque l’opération se déroule dans une clinique privée, il convient de distinguer deux hypothèses. Premièrement, il se peut que le patient conclue un seul contrat avec la clinique portant sur la prise en charge et l’intervention (contrat d’hospitalisation global). Dans cette hypothèse, le médecin pratique en tant qu’auxiliaire de la clinique et, partant, engage la responsabilité de cette dernière par ses actes (art. 101 CO). Secondement, le patient peut conclure deux contrats distincts : l’un avec la clinique portant sur la prise en charge et les autres prestations hospitalières (contrat d’hospitalisation partiel) et, l’autre, portant sur l’intervention avec le praticien (contrat de soins). Dans cette hypothèse, le médecin répond personnellement de ses actes, à l’exclusion de la clinique.
En l’espèce, la patiente n’a pas allégué la conclusion d’un quelconque contrat portant sur les opérations. Le gynécologue pouvait donc se contenter d’en nier l’existence. Le Tribunal cantonal a déduit l’existence d’un contrat de soins entre la patiente et le gynécologue des consultations faites au cabinet de ce dernier. Or, en l’absence d’autres circonstances, une telle déduction est insoutenable. La consultation préalable aurait pu constituer, tout au plus, un indice de la conclusion d’un contrat de soins avec le médecin si la patiente avait allégué que l’intervention avait été pratiquée dans une clinique privée par un médecin indépendant. Or, la patiente n’a rien allégué quant au statut de l’hôpital non plus. En l’absence d’un pareil indice, le Tribunal cantonal a versé dans l’arbitraire en retenant l’existence d’un contrat de soins. Par conséquent, la légitimation passive du gynécologue doit être niée.
Le Tribunal fédéral relève au demeurant que les prétentions se révèleraient mal fondées, même si le médecin revêtait la légitimation passive. La patiente soutient, d’une part, que le médecin aurait violé les règles de l’art dans le cadre des opérations et, d’autre part, qu’il aurait manqué à son devoir d’information. Le premier grief doit être rejeté, car aucun manquement aux règles de l’art ne ressort de l’état de fait retenu. S’agissant du second, bien qu’un défaut d’information doive être reproché au médecin, ce dernier pourrait se prévaloir de l’objection fondée sur le consentement hypothétique. En effet, il apparaît au regard de la situation personnelle de la patiente que, même dument informée, celle-ci aurait vraisemblablement consenti aux opérations ; d’autant plus qu’il ressort des expertises que la patiente aurait été exposée à des risques vitaux sans ces opérations.
Partant, le recours est rejeté.
Note
Comme le démontre cet arrêt, que ce soit dans un hôpital public (ou assimilé, i.e. un établissement de droit privé chargé d’une tâche publique) ou dans une clinique privée, le patient qui souhaite faire valoir la responsabilité contractuelle du médecin, doit établir l’existence d’un contrat de soins avec le praticien, excluant un contrat d’hospitalisation global avec l’établissement ou un contrat de droit public. En effet, dans un hôpital public, comme dans une clinique privée, il est possible que le médecin procède à des opérations en qualité d’auxiliaire de l’établissement dans l’exécution du contrat d’hospitalisation global, respectivement du contrat de droit public. Le cas échéant, le médecin engagera la responsabilité de la clinique (art. 101 CO) ou de la collectivité dans la mesure où le droit cantonal le prévoit (cf. art. 61 CO).
Comme dans une clinique privée, un médecin privé peut opérer des patients amenés par ses soins en utilisant les infrastructures d’un hôpital public, sans qu’une relation de droit public ne soit nouée entre eux. Dans cette hypothèse, la relation juridique reste régie par le contrat de mandat. Il en va toutefois différemment des rapports de médecins hospitaliers autorisés à consulter leurs patients privés. De tels rapports sont en principe soumis au droit public, à l’exclusion du droit privé (cf. Madeleine Hirsig-Vouilloz, La responsabilité du médecin – Aspects de droit civil, pénal et administratif, Berne 2017, p. 136 s. ; pour une proposition de solution plus uniforme, cf. Olivier Guillod / Frédéric Erard, Droit médical, Bâle 2020, no 590 ss).
La situation peut être schématisée ainsi :
Proposition de citation : Ismaël Boubrahimi, La légitimation passive du médecin opérant en milieu hospitalier, in : https://www.lawinside.ch/1438/