L’importance de la preuve pour la notification de la formule officielle

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ATF 148 III 63| TF, 28.01.2022, 4A_302/2021*

En matière de fixation du loyer, il revient toujours au propriétaire de prouver la notification de la formule officielle. À moins de disposer de connaissances particulières, les locataires bénéficient d’une présomption d’ignorance concernant la nécessité d’utiliser une telle formule.

L’action en répétition du trop-perçu des loyers se prescrit par 3 ans à compter du moment où les parties ont effectivement (et personnellement) connaissance de leur droit au remboursement, la connaissance d’un·e éventuel·le mandataire professionnel·le ne pouvant leur être imputée.

Faits

En 2011, deux personnes concluent un contrat de bail avec le propriétaire d’un appartement de 5 pièces à Montreux. Le contrat prévoit un loyer mensuel net de CHF 4’100.- mais ne mentionne pas l’annexion d’une formule officielle de notification du nouveau loyer. La bailleresse allègue avoir adressé une telle formule aux locataires qui, pour leur part, le contestent. En 2014, les locataires signalent des défauts dans l’appartement et demandent une réduction forfaitaire de loyer, qui est finalement réduit à CHF 3’813.-.

Fin 2015, les locataires ouvrent action en constatation de la nullité du loyer initial et de son caractère abusif et en fixation d’un nouveau loyer initial, arguant que la bailleresse ne leur a jamais notifié de formule officielle. Le Tribunal des baux fixe le loyer initial à CHF 1’930.- et condamne la bailleresse à restituer aux locataires les montants versés en trop. Suite à la confirmation de ce jugement par le Tribunal cantonal, la bailleresse forme un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Ce dernier est appelé à se prononcer sur la preuve de la notification de la formule officielle lors de la conclusion du bail, sur l’intérêt des locataires à agir en contestation du loyer initial et sur la prescription de l’action en remboursement du trop-perçu.

Droit

Le Tribunal fédéral note qu’en vertu de l’art. 8 CC, il appartient à la bailleresse de prouver la remise de la formule officielle, obligatoire dans le canton de Vaud (art. 270 al. 2 CO en lien avec art. 1 LFOCL/VD). Or en l’espèce, elle a négligé de prendre les mesures ordinaires qui lui auraient permis d’apporter cette preuve (p. ex. envoyer la formule aux locataires par courrier recommandé, la faire contresigner par ces derniers ou encore mentionner son annexion sur le contrat de bail) et doit en assumer les conséquences.

Concernant l’intérêt des locataires à l’action en contestation du loyer initial, le Tribunal fédéral se réfère à son ATF 146 III 82 (résumé in : LawInside.ch/889), dans lequel il explique que tant que dure le bail, le ou la locataire peut toujours se prévaloir du vice de forme affectant la notification du loyer initial, indépendamment de l’éventuelle prescription de l’action en restitution du trop-perçu. En effet, le ou la locataire peut contester le loyer initial à d’autres fins, par exemple pour obtenir la fixation des loyers futurs. En l’espèce, les locataires ont intérêt à agir dès lors que leur bail perdurait au moment de l’ouverture de l’action.

Finalement, le Tribunal fédéral rappelle que l’action en répétition de l’indu se prescrit par trois ans (art. 67 CO). En l’espèce cependant, le délai de prescription est d’une année, en application de l’ancien art. 67 al. 1 CO (en vigueur avant le 1er janvier 2020). Il commence à courir à compter du moment où la partie lésée a effectivement connaissance de son droit de répétition. Dans l’ATF précité (ATF 146 III 82, consid. 4.1.3, résumé in : LawInside.ch/889), le Tribunal fédéral avait relevé dans un obiter dictum que la présomption d’ignorance du locataire pourrait être remise en question étant donné que l’usage de la formule officielle est obligatoire depuis plus de 25 ans dans le canton de Vaud – ce qui a été rappelé à maintes reprises dans la jurisprudence et peut être facilement vérifié sur Internet. Dans l’arrêt résumé ici, le Tribunal fédéral minimise la portée de son précédent obiter dictum  : il convient simplement d’apprécier l’ensemble des circonstances concrètes pour déterminer si, dans le cas d’espèce, on peut présumer que le locataire ignorait la nécessité d’utiliser la formule officielle. à titre d’exemple, ne bénéficient pas de la présomption d’ignorance les locataires qui disposent de connaissances particulières en droit du bail, qui ont déjà reçu la formule officielle ou ont été impliqué·e·s dans une procédure de contestation du loyer initial dans le cadre d’une précédente location.

En l’espèce, bien que les locataires aient eu recours en 2014 aux services d’une première avocate, sa connaissance de la nécessité d’une formule officielle ne peut leur être imputée. En effet, la mission de cette avocate, qui était limitée aux défauts de la chose louée, n’exigeait pas de vérifier l’existence d’une telle formule. Le moment déterminant pour le départ du délai de prescription est donc celui où les locataires ont eu personnellement connaissance de leur droit, soit lorsque leur seconde mandataire – consultée en 2015 pour agir en constatation du loyer initial – le leur a appris. Par conséquent, ils ont agi dans le délai relatif d’un an prévu par l’ancien art. 67 al. 1 CO et leur droit de répétition n’est pas prescrit.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note

La doctrine a critiqué la remise en question de la présomption d’ignorance amorcée par le Tribunal fédéral dans l’obiter dictum précité. Certains auteurs ont en particulier relevé que la durée de l’usage obligatoire de la formule officielle dans un certain canton ne saurait être opposée à des locataires emménageant dans ce canton pour la première fois, qu’on ne peut s’attendre à ce que tout un chacun connaisse la jurisprudence fédérale, et que le renversement de la présomption d’ignorance nuirait à la protection des locataires.

Le Tribunal fédéral renonce ici à renverser cette présomption, tout en rappelant que les circonstances concrètes peuvent mener le ou la juge à considérer que le ou la locataire devait connaître la nullité du loyer communiqué sans formule officielle.

Proposition de citation : Marion Chautard, L’importance de la preuve pour la notification de la formule officielle, in : www.lawinside.ch/1149/