Un licenciement fondé sur les données GPS conforme à la CEDH ?

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CourEDH, Florindo De Almeida Vasconcelos Gramaxo c. Portugal, 13.12.2022, n°26968/16

L’art. 8 CEDH est respecté lorsque l’employeur se fonde sur les données d’un GPS pour licencier un employé qui indiquait de faux kilométrages parcourus avec sa voiture de fonction, alors qu’il savait que sa voiture contenait un GPS.

Fait

Un employé utilise un véhicule de fonction pour effectuer des visites auprès des clients de son employeur. Il peut également utiliser la voiture à titre privé, mais doit indiquer les kilomètres parcourus afin de rembourser son employeur.

En 2012, l’employeur décide d’installer des GPS dans ses véhicules. Il en informe les employés et précise ses buts, notamment vérifier les kilomètres parcourus.

Le GPS installé dans la voiture de l’employé connaît des problèmes. L’employeur installe alors un second GPS dans le véhicule, sans en informer l’employé.

Il est ensuite reproché à l’employé d’avoir manipulé le premier GPS et d’avoir majoré le nombre de kilomètres parcourus à titre professionnel afin d’y diluer les kilomètres parcourus à titre privé pour ne pas devoir rembourser l’employeur. Ainsi, le GPS installé par l’employeur dans un deuxième temps indique toujours des chiffres supérieurs au GPS installé précédemment. Sur cette base, l’employeur prononce le licenciement de l’employé. Ce dernier conteste le licenciement sans succès devant les instances judiciaires portugaises.

L’employé saisit la CourEDH, qui doit déterminer si la confirmation de son licenciement fondé sur les données GPS constitue une violation de l’art. 8 CEDH.

En parallèle, une procédure est ouverte par l’autorité de protection des données du Portugal (CNPD). Celle-ci aboutit à une autorisation d’utilisation de GPS dans les véhicules de l’employeur à des conditions restreintes, notamment que le GPS soit désactivé lors de l’utilisation privée du véhicule.

Droit

La Cour commence par rappeler sa jurisprudence relative à la notion de « vie privée », protégée par l’art. 8 CEDH. Dans sa jurisprudence la Cour a déjà retenu que cette disposition s’applique lors de la surveillance d’employés tant par vidéosurveillance que par interception de messages électroniques ou encore de fichiers informatiques.

En l’espèce, la surveillance litigieuse provient de données de géolocalisation. Elle constitue une surveillance permanente et systématique de l’employé, tant pendant les heures de travail qu’en dehors, lorsque l’employé utilise le véhicule à titre privé. Partant, la surveillance empiète incontestablement sur la vie privée de l’employé et l’art. 8 CEDH trouve application.

La CourEDH rappelle ensuite sa jurisprudence relative aux critères déterminants afin de juger de la conformité avec l’art. 8 CEDH de la surveillance d’employé :

  1. Information : l’employé a-t-il été informé à l’avance de la possibilité d’une telle surveillance et de sa mise en œuvre ?
  2. Portée : quelle était l’étendue et le degré d’intrusion de la surveillance dans la vie privée ?
  3. Légitimité : la surveillance était-elle justifiée par des motifs légitimes ?
  4. Subsidiarité : existait-il d’autres mesures moins intrusives pour atteindre le même objectif ?
  5. Conséquence : quelles ont été les conséquences de la surveillance pour l’employé ?
  6. Garanties : l’employé disposait-il de garanties adéquates ?

Il n’est en soi pas déterminant que le suivi par GPS n’était finalement pas conforme au droit national et à la décision de la CNPD. La Cour se limite en effet à examiner les six critères susmentionnés.

En l’espèce, l’employé avait été informé de l’installation d’un GPS dans son véhicule. L’employeur visait à contrôler les dépenses découlant de l’utilisation du véhicule. Finalement, seule la différence concernant le kilométrage parcouru a été retenue comme critère déterminant par la dernière instance judiciaire nationale pour justifier le licenciement, et non le fait que l’employé n’effectuait pas ses huit heures de travail journalier. L’intrusion dans la vie privée de l’employé était ainsi moindre.

L’intrusion était également strictement nécessaire au but légitime poursuivi par l’employé. En effet, il n’existait pas d’autre moyen moins intrusif pour procéder au contrôle des kilomètres parcourus à titre professionnel et à titre privé. En outre, seuls les employés compétents avaient accès aux données de géolocalisation. Enfin, l’instance nationale a effectué une balance circonstanciée des intérêts respectif.

Partant, la CourEDH conclut, par quatre voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’art. 8 CEDH.

Note

L’opinion dissidente de trois juges souligne que l’ingérence de l’employeur était plus importante que ce que laisse entendre la majorité de la Cour. En effet, grâce au GPS, l’employé a été constamment surveillé sur une période de trois ans, 24 heures sur 24, y compris lors de déplacements effectués à titre privé. Par ailleurs, la minorité reproche à l’instance nationale de ne pas avoir pris en compte la décision de la CNPD selon laquelle la géolocalisation lors de l’utilisation privée du véhicule n’était pas valable.

Cet arrêt confirme la jurisprudence de la CourEDH qui retient une application de l’art. 8 CEDH lors de la surveillance d’employés. Les six critères pertinents susmentionnés ont d’abord été établis dans l’arrêt Bărbulescu c. Roumanie ([GC], n° 61496/08, § 70, 5 septembre 2017), confirmé dans l’arrêt López Ribalda et autres c. Espagne ([GC], n° 1874/13 et 8567/13, 17 octobre 2019). Sur ce dernier arrêt, cf. Hirsch Célian, La vidéosurveillance secrète des employés ; analyse de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme López Ribalda et autres c. Espagne (Requête n os 1874/13 et 8567/13), Newsletter DroitDuTravail.ch décembre 2019.

Proposition de citation : Célian Hirsch, Un licenciement fondé sur les données GPS conforme à la CEDH  ?, in : www.lawinside.ch/1264/