La détention pour des motifs de sûreté ordonnée en vue du prononcé d’une mesure thérapeutique institutionnelle ultérieure à l’exécution d’une peine

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TF, 20.11.2023, 7B_843/2023*

Dans le cadre d’une procédure judiciaire ultérieure indépendante, la détention pour des motifs de sûreté ne peut être ordonnée que s’il y a de sérieuses raisons de penser que l’exécution d’une peine ou d’une mesure privative de liberté sera ordonnée à l’encontre du condamné (art. 364a al. 1 let. a et 364b al. 1 CPP).

Cette condition n’est pas remplie lorsque les faits et moyens de preuves invoqués par les autorités pénales pour justifier le prononcé ultérieur d’une mesure thérapeutique institutionnelle (art. 65 al. 1 CP) n’ont pas trait à la qualification de l’infraction ou à la culpabilité du condamné.

Faits

Un prévenu est condamné en 2019 à une peine privative de liberté avec sursis de 150 jours avec délai d’épreuve de 4 ans pour lésions corporelles simples. Les conditions du sursis n’ayant pas été respectées, celui-ci est révoqué en 2021.

En 2023, à la requête du Service lucernois d’exécution et de probation, le Ministère public demande au Tribunal d’arrondissement de Lucerne d’ordonner une mesure thérapeutique institutionnelle au sens de l’art. 59 CP à titre de changement de sanction (art. 65 CP), ainsi qu’une détention pour des motifs de sûreté de 3 mois.

Le Tribunal admet cette demande et ordonne la détention pour des motifs de sûreté. Se fondant sur une expertise psychiatrique de 2023, il relève que l’ordonnance pénale de 2019 retenait déjà l’existence de troubles psychiques, sans que leur gravité n’ait été reconnue à l’époque. Dès lors, il considère que les conditions d’une mesure thérapeutique institutionnelle étaient déjà remplies au moment l’ordonnance pénale.

Le recours du condamné ayant été rejeté par le Tribunal cantonal lucernois, il saisit le Tribunal fédéral d’un recours en matière pénale. Celui-ci est amené à se prononcer sur la validité de la détention pour des motifs de sûreté ordonnée par le Tribunal d’arrondissement.

Droit

La détention pour des motifs de sûreté en vue ou dans le cadre d’une décision judiciaire ultérieure indépendante est régie par les art. 364a al. 1 CPP et 364b al. 1 CPP Le condamné peut ainsi être arrêté s’il y a de sérieuses raisons de penser que l’exécution d’une peine ou d’une mesure privative de liberté sera ordonnée à son encontre et qu’il se soustraira à son exécution ou commettra à nouveau un crime ou un délit grave.

Le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord les conditions d’un changement de sanction au sens de l’art. 65 al. 1 CP. Une mesure thérapeutique institutionnelle (art. 59 CP) peut être ordonnée ultérieurement lorsque, avant ou pendant l’exécution d’une peine privative de liberté ou d’un internement au sens de l’art. 64 al. 1 CP, le condamné en réunit les conditions. La conformité d’une telle atteinte à la force de chose jugée doit être examinée à l’aune de la CEDH (ATF 145 IV 383, résumé in : www.lawinside.ch/832).

La jurisprudence du Tribunal fédéral admet le bien-fondé d’une mesure thérapeutique institutionnelle prononcée sur la base de l’art. 65 al. 1 CP lorsque, après l’entrée en force du jugement, des faits ou moyens de preuves nouveaux justifiant une telle mesure apparaissent (ATF 148 IV 89, résumé in : www.lawinside.ch/1175). Toutefois, seules peuvent être prises en compte les circonstances qui, sans être connues du tribunal, existaient déjà avant le jugement. Les faits postérieurs au jugement ne peuvent en revanche pas justifier le prononcé d’une mesure thérapeutique institutionnelle ultérieure.

Il ressort en outre de la jurisprudence de la CourEDH relative à l’art. 65 al. 2 CP que les faits et moyens de preuves nouveaux qui ne concernent que les conditions du prononcé d’une mesure, et non la nature de l’infraction elle-même ou la culpabilité du condamné, ne peuvent pas justifier le prononcé ultérieur d’un internement (CourEDH, 02.11.2021, Affaire W.A. c. Suisse, requête no 38958/16). Le Tribunal fédéral souligne que cette jurisprudence est pleinement applicable à l’art. 65 al. 1 CP.

Le Tribunal fédéral relève en outre que le ministère public a ignoré les signes clairement reconnaissables qui justifiaient une mesure lorsqu’il a rendu son ordonnance pénale en 2019. Cette négligence remet en question l’admissibilité d’une mesure thérapeutique institutionnelle ordonnée plusieurs années après l’exécution complète de la peine privative de liberté de 150 jours.

Enfin, le Tribunal fédéral semble se rallier à un avis doctrinal contestant que l’art. 65 al. 1 CP s’applique lorsque la peine privative de liberté a été assortie du sursis, quand bien même celui-ci a été révoqué par la suite.

Pour toutes ces raisons, le Tribunal fédéral considère qu’il n’existe pas de raisons suffisantes de considérer que l’exécution d’une peine ou d’une mesure privative de liberté sera ordonnée. La condition de l’art. 364a al. 1 let. a CPP fait donc défaut, de sorte que la détention pour des motifs de sûreté n’est pas justifiée.

Partant le Tribunal fédéral admet le recours et ordonne la libération immédiate du condamné.

Proposition de citation : Quentin Cuendet, La détention pour des motifs de sûreté ordonnée en vue du prononcé d’une mesure thérapeutique institutionnelle ultérieure à l’exécution d’une peine, in : www.lawinside.ch/1387/