Le niveau de planification requis par l’art. 16a al. 3 LAT

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TF, 20.11.2023, 1C_526/2022*

L’art. 16a al. 3 LAT, permettant les constructions et installations dépassant le cadre de ce qui peut être admis au titre du développement interne d’une exploitation agricole, nécessite une planification d’affectation. La simple désignation d’une zone agricole spéciale au niveau de la planification directrice n’est pas suffisante.

Faits

Dans la commune genevoise de Bernex, des copropriétaires d’une parcelle en zone agricole exploitent une serre par le biais d’une entreprise. Cette dernière dépose une demande d’autorisation de construire auprès du Département cantonal du territoire (le DT), portant sur la surélévation de la serre existante et l’amélioration de l’ergonomie de travail.

Le DT délivre l’autorisation requise. Les propriétaires d’une parcelle située à proximité déposent un recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance, qui le rejette. La Chambre administrative de la Cour de justice en fait de même.

Par la voie d’un recours en matière de droit public, les propriétaires de la parcelle voisine saisissent le Tribunal fédéral. Ce dernier est amené à préciser le niveau de planification requis par l’art. 16a al. 3 LAT.

Droit

Les recourants font en particulier valoir une violation de l’art. 16a al. 3 LAT. Selon cette disposition, les constructions et installations dépassant le cadre de ce qui peut être admis au titre du développement interne d’une exploitation agricole ou d’une exploitation pratiquant l’horticulture productrice (cf. art. 16a al. 2 LAT) peuvent être déclarées conformes à l’affectation de la zone et autorisées, lorsqu’elles seront implantées dans une partie de la zone agricole que le canton a désignée à cet effet moyennant une procédure de planification.

Selon les recourants, le droit fédéral imposerait à cet égard une planification d’affectation locale (soit un plan localisé agricole au sens de l’art. 20 al. 5 LaLAT/GE). La simple désignation d’une zone agricole spéciale au niveau du plan directeur cantonal ne serait pas suffisante, contrairement à ce que l’instance précédente a retenu.

Le Tribunal fédéral rappelle que la zone agricole est subdivisée en deux parties : l’une concerne l’agriculture traditionnelle, dépendante du sol, tandis que l’autre est réservée à l’agriculture non tributaire du sol et résultant d’une procédure de planification (zone agricole spéciale ou zone d’agriculture intensive), au sens de l’art. 16a al. 3 LAT. Ainsi, une zone agricole spéciale au sens de cette disposition constitue une exception au caractère inconstructible de la zone agricole et permet des constructions allant au-delà de ce qui est usuellement permissible dans une telle zone.

Le Tribunal fédéral se livre à une interprétation de l’art. 16a al. 3 LAT et de la « procédure de planification » qui y est prévue. Il relève que la planification directrice ne suffit pas en soi à répondre aux exigences de l’art. 16a al. 3 LAT. En effet, ce n’est qu’au niveau de la planification d’affectation qu’une pesée suffisante des intérêts en cause peut être réalisée. Contrairement à la planification directrice, la planification d’affectation pourra tenir compte des circonstances locales et spécifiques en présence, y compris en matière de protection du paysage, ainsi que des prescriptions de police des constructions et d’éventuels conflits que le caractère exceptionnellement constructible d’une zone agricole pourrait créer.

Le Tribunal fédéral relève également que, s’agissant de la protection juridique, seule la planification d’affectation ouvre les voies de recours aux personnes potentiellement touchées par la construction envisagée, contrairement à la planification directrice. Il note encore que d’un point de vue systématique, l’art. 16a LAT figure dans le chapitre de la loi relatif aux plans d’affectation.

Il découle de ces considérations que, aux termes de l’art. 16a al. 3 LAT, la détermination et l’affectation concrète de terrains à une zone agricole spéciale doivent être opérées par le biais d’une procédure d’affectation. L’art. 20 al. 5 LaLAT/GE est d’ailleurs déjà en accord avec cette conclusion, puisqu’il prévoit l’adoption préalable d’un plan localisé agricole en cas de délivrance d’autorisation de construire dans les cas couverts par l’art. 16a al. 3 LAT, pour faire suite à la désignation des secteurs de zone agricole spéciale au niveau de la planification directrice cantonale.

En l’espèce, il n’existe pas de plan localisé agricole pour la zone en question, et donc pas de planification qui soit suffisante au sens de l’art. 16a al. 3 LAT. Le projet litigieux n’est donc pas conforme à la zone.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et annule tant l’arrêt de l’instance précédente que l’autorisation de construire.

Proposition de citation : Camille de Salis, Le niveau de planification requis par l’art. 16a al. 3 LAT, in : www.lawinside.ch/1391/