La personnalisation d’un produit de marque sans l’accord du titulaire de la marque concernée est-elle licite ?

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TF, 19.01.2023, 4A_171/2023*

La personnalisation d’une montre de marque, effectuée à la demande et pour le compte de son propriétaire en vue de son usage personnel, ne porte en principe pas atteinte à la fonction distinctive de la marque car l’objet modifié est destiné à un usage privé et n’est pas remis sur le marché. En revanche, le fait de commercialiser des montres modifiées sur lesquelles apparaît toujours la marque contrevient en principe à la LPM, faute d’autorisation du titulaire de la marque.

Faits

Une société active dans la transformation de montres propose un service de personnalisation de montres de luxe, essentiellement produites par Rolex, en changeant certaines pièces et en leur donnant une nouvelle apparence conformément aux souhaits exprimés par ses clients. La marque de la société figure ainsi à côté de la marque Rolex sur le produit personnalisé. De plus, afin de promouvoir ses services, la société affiche sur son site internet les montres fabriquées par Rolex ainsi que ses marques. En juin 2020, Rolex met en demeure la société de cesser toutes ses activités en lien avec des montres de sa marque.

En qualité d’instance cantonale unique, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève interdit à la société tout usage par apposition ou réapposition, dans le commerce, de marques appartenant à Rolex et à l’interdiction de tout usage, dans le commerce, de marques appartenant à Rolex en vue d’offrir et de promouvoir, y compris sur internet, des services de personnalisation de montres.

La société forme un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral qui doit pour la première fois déterminer si d’une part l’activité commerciale de la recourante est licite au regard des dispositions LPM et de la LCD et si d’autre part la manière dont la recourante fait la promotion de ses services contrevient aux normes de la LPM ou de la LCD.

Droit

A propos de l’examen du caractère licite de l’activité commerciale de la recourante, le Tribunal fédéral rappelle à titre préliminaire certains principes juridiques en matière de propriété intellectuelle et de protection des marques. Aux termes de l’art. 1 al. 1 LPM, la marque est un signe propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux proposés par d’autres entreprises. Ainsi, le rôle de la marque est notamment de distinguer les produits ou les services d’une entreprise en individualisant les prestations désignées et de les différencier des autres.

Le titulaire d’une marque dispose du droit exclusif d’en faire usage pour distinguer les produits ou services enregistrés et d’en disposer (art. 13 al. 1 LPM). Le Tribunal fédéral rappelle également que le droit à l’usage exclusif de la marque ne comprend pas l’usage à des fins privées ; seule l’utilisation dans les affaires est protégée à l’exception de l’art. 13 al. 2bis LPM concernant l’importation, l’exportation ou le transit de produits de fabrication industrielle. Pour les titulaires de marques de haute renommée, l’art. 15 LPM élargit le champ de protection des droits conférés par la marque en permettant au titulaire d’une marque de haute renommée d’interdire à des tiers son usage pour les produits et services de toute nature.

Le Tribunal fédéral relève encore que le droit des marques obéit au principe de l’épuisement selon lequel le droit exclusif de commercialisation d’un bien protégé par un droit de propriété intellectuelle s’épuise à la première mise en circulation par laquelle le bien est aliéné de manière licite.  Celui-ci n’est toutefois pas absolue et connaît des exceptions, notamment lorsque l’article de marque concerné subit des modifications non autorisées.

En l’espèce, la recourante commercialisait des montres personnalisées sur lesquelles apparaissait la marque Rolex sans autorisation. Suite à la mise en demeure par Rolex, la recourante a modifié son modèle d’affaires et a pris l’engagement de ne pas disposer de stock de montres personnalisées ou à personnaliser. Depuis, les clients doivent impérativement être propriétaires d’une montre de marque authentique pour faire appel à ses services de personnalisation.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral opère une distinction entre les deux modèles d’activités en lien avec la personnalisation de montres de marque. Il considère que la commercialisation de montres personnalisées sur lesquelles apparaît toujours la marque figurant sur l’objet d’origine, en l’occurrence Rolex, est en principe illicite à défaut de consentement du titulaire de la marque. Une telle activité ne saurait être protégée par le principe de l’épuisement. Dans ce cas, la marque est en effet utilisée de telle manière que le marché puisse y voir un signe propre à identifier le produit commercialisé comme étant celui du titulaire de la marque d’origine, raison pour laquelle celui-ci peut s’opposer à ce que des produits, modifiés sans son autorisation et arborant sa marque, soient remis sur le marché. Ainsi, la commercialisation de produits modifiés après leur première mise en circulation qui continuent à revêtir la marque de l’article d’origine est en principe illicite.

En revanche, la fourniture de services de personnalisation de montres de marque sur requête du client est en principe licite. En effet, la personnalisation d’une montre de marque ou de tout autre objet de marque, effectuée à la demande et pour le compte de son propriétaire en vue de son usage personnel, ne porte en principe pas atteinte à la fonction distinctive de la marque car l’objet modifié est destiné à un usage privé et n’est pas remis sur le marché. En d’autres termes, lorsqu’une société personnalise un objet de marque sur demande de son propriétaire, la société en question ne fait pas usage de la marque d’un tiers sur le marché pour offrir ses propres services mais ne fait que modifier un bien à des fins privées. Il conclut donc que le modèle d’affaires de la recourante après la mise en demeure n’apparaît ni contraire au droit des marques ni incompatible avec les règles de la LCD.

Ensuite, le Tribunal fédéral examine la question de savoir si la manière dont la recourante fait la promotion de ses activités contrevient aux règles de la LPM ou de la LCD.

Les juges de l’instance inférieure ont constaté que les montres fabriquées par Rolex ainsi que ses marques figurent à de nombreuses reprises sur le site internet de la recourante. Par ailleurs cette dernière appose ses propres signes à côté des marques de l’intimée sur les montres qu’elle modifie. De l’avis des juges précédents, ces circonstances sont de nature à donner l’impression que les deux parties collaborent dans la production, respectivement la modification de montres, alors que tel n’est pas le cas, et que cette apparence de co-branding était constitutive d’une forme de parasitisme prohibé au sens de la LCD.

Le Tribunal fédéral relève que la Cour cantonale n’a pas examiné si les références aux marques de l’intimée sur le site internet de la recourante restaient clairement en rapport avec les propres offres de services proposés par cette dernière. Il relève également qu’elle a omis de prendre en considération une série d’allégations de la recourante sur le sujet. Partant, le Tribunal fédéral considère que Cour cantonale a établi les faits de façon incomplète et violé le droit d’être entendu de la recourante.

Au vu de ces éléments, l’arrêt attaqué est annulé et l’affaire renvoyé à l’instance cantonale pour qu’elle établisse précisément les faits pertinents concernant le contenu du site internet de la recourante.

Proposition de citation : André Lopes Vilar de Ouro, La personnalisation d’un produit de marque sans l’accord du titulaire de la marque concernée est-elle licite  ?, in : www.lawinside.ch/1419/