La procédure de rappel d’impôt dans un rapport intercantonal

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TF, 21.11.2023, 9C_14/2023*

Le principe posé dans l’ATF 139 I 64 de la déchéance du droit du canton de domicile “secondaire” de procéder, après sa taxation définitive, à un rappel d’impôt sur la base de la taxation principale du canton de domicile “principal” doit être abandonné (revirement de jurisprudence).

Faits

Une société dont le siège est à Zurich dispose d’une succursale à Genève. Entre 2012 et 2015, l’Administration fiscale du canton de Genève (AFC-GE) impose la société aux impôts cantonaux et communaux.

En 2016, l’Administration fiscale du canton de Zurich (AFC-ZH) taxe la société et informe l’AFC-GE qu’elle a procédé à des corrections dans le bénéfice imposable et dans la répartition intercantonale de la contribuable.

Après avoir reçu copie des taxations de l’AFC-ZH, l’AFC-GE ouvre une procédure en rappel d’impôt et soustraction à l’encontre de la société. Par la suite, l’AFC-GE notifie les bordereaux de rappel d’impôt et d’amende en fixant une nouvelle part du bénéfice et du capital imposable à Genève.

Le Tribunal administratif de première instance rejette le recours de la contribuable. La Cour de justice admet le recours de la contribuable et annule les bordereaux de rappel d’impôt et d’amende. L’AFC-GE forme alors un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral, lequel doit se prononcer sur l’admissibilité d’ouvrir la procédure en rappel d’impôt et en soustraction dans un rapport intercantonal.

Droit

Il n’est en l’espèce pas contesté que la contribuable, dont le siège est à Zurich, est assujettie à raison d’un rattachement économique dans le canton de Genève, puisqu’elle y exploite une succursale (cf. art. 21 al. 1 let. b LHID). Les deux cantons sont alors compétents pour procéder à la taxation des éléments qui relèvent de leur souveraineté fiscale (cf. art. 2 al. 1 de l’ordonnance d’application de la LHID). Est toutefois controversée la question de savoir si le canton de Genève pouvait, en tant que canton “secondaire”, après avoir rendu des taxations définitives sans attendre les taxations dans le canton de Zurich (canton “principal”), revenir sur ses décisions par le biais d’un rappel d’impôt en raison des taxations communiquées postérieurement par l’AFC-ZH.

Les conditions du rappel d’impôt sont fixées à l’art. 53 al. 1 LHID (cf. ég. art. 151 al. 1 LIFD). L’autorité fiscale procède ainsi au rappel d’impôt lorsque des moyens de preuve ou des faits qui lui étaient jusque-là inconnus permettent d’établir qu’une taxation n’a pas été effectuée alors qu’elle aurait dû l’être ou qu’une taxation entrée en force est incomplète.

Dans l’ATF 139 I 64, le Tribunal fédéral a consacré le principe de la déchéance du droit du canton de domicile secondaire de procéder à un rappel d’impôt dans certaines circonstances. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a constaté que l’art. 39 al. 2 LHID et l’art. 2 al. 3 de l’ordonnance d’application de la LHID prévoient que l’autorité fiscale du canton du siège doit communiquer aux autorités fiscales des autres cantons concernés sa taxation et la répartition intercantonale. Ce faisant, le Tribunal fédéral a attribué au canton principal « de facto un rôle de direction ». Dans un système marqué par le traitement électronique des dossiers, les différentes administrations doivent se coordonner. Dès lors, si le canton secondaire procède à une taxation avant le canton du domicile fiscal principal, il ne peut le faire que sur une base provisoire. A défaut, dans l’hypothèse où la taxation du canton principal diffère de la taxation définitive du canton secondaire, ce dernier perd la possibilité de mener un rappel d’impôt.

Dans l’arrêt ici résumé, le Tribunal fédéral décide de procéder à un revirement de jurisprudence et d’abandonner les principes développés dans l’ATF 139 I 64, et ce pour trois motifs.

En premier lieu, chaque canton est compétent pour effectuer sa propre taxation et sa propre répartition. Or, les principes développés dans l’ATF 139 I 64 interfèrent avec la compétence du canton secondaire, vu qu’il lui revient d’attendre la taxation définitive du canton principal avant de rendre sa propre taxation. L’art. 39 LHID et l’art. 2 de l’ordonnance d’application de la LHID n’imposent pas une telle démarche. En deuxième lieu, une partie de la doctrine remet en cause l’ATF 139 I 64, notamment au regard du concept de taxation provisoire qui fait l’objet d’incertitudes. Enfin, en troisième lieu, le Tribunal fédéral considère que l’ATF 139 I 64 revient à ajouter une condition supplémentaire au rappel d’impôt, soit que le canton secondaire n’ait pas rendu une décision de taxation définitive. Or, cette condition ne résulte pas de l’art. 53 LHID, qui prévoit exhaustivement les motifs du rappel d’impôt.

Par conséquent, dès lors que la jurisprudence de l’ATF 139 I 64 est abandonnée, le canton de Genève, en tant que canton du siège secondaire qui a rendu une décision de taxation définitive avant le canton du siège principal, est en l’espèce en droit de procéder à l’ouverture d’une procédure en rappel d’impôt.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie la cause à la juridiction cantonale pour l’examen des conditions du rappel d’impôt.

Proposition de citation : Tobias Sievert, La procédure de rappel d’impôt dans un rapport intercantonal, in : www.lawinside.ch/1418/