La planification d’une décharge portant atteinte à un objet protégé par un inventaire fédéral

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TF, 07.11.2023, 1C_327/2022, 1C_331/2022*

(1) L’atteinte à un objet protégé par un inventaire fédéral doit être évaluée à l’aune des objectifs spécifiques de protection de l’objet en question. En cas d’atteinte grave, l’atteinte ne peut être justifiée que par des intérêts d’importance nationale jugés équivalents ou supérieurs. (2) Une décharge qui porte atteinte à un objet protégé par un inventaire fédéral doit faire l’objet d’une étude de l’impact sur l’environnement au stade de la planification d’affectation, et ce même si le droit cantonal désigne la procédure d’autorisation en tant que « procédure décisive ».

Faits

Le canton de Zoug adopte un plan d’affectation cantonal qui prévoit l’implantation d’une décharge de type A destinée au dépôt de matériaux d’excavation non pollués. La décharge est prévue dans le périmètre du site « IFP 1309 Zugersee  » classé à l’inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels (IFP).

Le plan d’affectation cantonal fixe les grandes lignes de l’exploitation envisagée. Le projet concret de décharge devra encore être décidé dans une procédure d’autorisation subséquente. Au stade de la planification d’affectation, les autorités cantonales ne mènent pas de procédure d’étude de l’impact sur l’environnement (EIE), estimant que celle-ci aura lieu dans la procédure d’autorisation de construire conformément au droit cantonal.

Des voisins contestent l’adoption du plan d’affectation. Sans succès devant les autorités cantonales, ils forment un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Celui-ci doit se prononcer (1) sur l’admissibilité d’implanter la décharge dans le site classé à l’IFP. Il doit également statuer (2) sur la nécessité de mener la procédure d’EIE au stade de l’établissement du plan d’affectation.

Droit

Un objet d’importance nationale inscrit dans un inventaire fédéral, à l’instar de l’IFP, doit être conservé intact ou en tout cas être ménagé le plus possible (cf. art. 6 al. 1, art. 5, art. 3 al. 1 LPN). Dans l’accomplissement d’une tâche fédérale, il peut être porté atteinte à l’objet inscrit qu’en la présence d’intérêts nationaux jugés équivalents ou supérieurs (art. 6 al. 2 LPN). Cette règle est concrétisée aux art. 5 ss OIFP. En particulier, l’art. 6 al. 1 2e phr. OIFP prévoit que de légères altérations aux objets protégés sont admissibles si elles sont justifiées par un intérêt qui prime l’intérêt à protéger l’objet. L’art. 6 al. 2 OIFP prévoit que de graves altérations des objets au sens de l’art. 6 al. 2 LPN ne sont admissibles que si elles sont justifiées par un intérêt d’importance nationale qui prime l’intérêt à protéger l’objet.

En l’occurrence, le canton de Zoug accomplit une tâche fédérale en délimitant le plan d’affectation qui prévoit la décharge (cf. art. 31 LPE). Ainsi, l’art. 6 LPN et l’art. 6 OIFP sont directement applicables. Avant de déterminer le régime de l’atteinte à l’objet protégé, le Tribunal fédéral se penche sur la qualification des altérations de légères ou de graves (art. 6 al. 1 et 2 OIFP en lien avec l’art. 6 al. 2 LPN). Pour déterminer si le projet porte atteinte à un objet inscrit à l’IFP et, le cas échéant, dans quelle mesure, les atteintes possibles doivent être évaluées à l’aune des objectifs spécifiques de protection de l’objet en question.

En s’appuyant en particulier sur le rapport de la Commission fédérale pour la protection de la nature et du paysage (CFNP), le Tribunal fédéral considère que la décharge prévue porte atteinte au site protégé à l’IFP, qui revêt une grande importance paysagère pour les environs du lac de Zoug en raison de son empreinte glaciaire, de ses gradins structuraux et de sa faible densité de construction. La décharge revient à construire une colline artificielle qui entraîne une altération à grande échelle du paysage caractéristique et intact de la région. Dans ces circonstances, la délimitation du plan d’affectation cantonal constitue une atteinte grave aux objectifs de protection de l’IFP au sens de l’art. 6 al. 2 OIFP et de l’art. 6 al. 2 LPN.

Le Tribunal fédéral se demande alors si l’atteinte grave à l’objet protégé peut être justifiée par des intérêts d’importance nationale jugés équivalents ou supérieurs (art. 6 al. 2 OIFP ; art. 6 al. 2 LPN). A cet égard, même si la gestion des déchets est d’importance nationale (cf. art. 30 ss LPE), l’intérêt à la conservation intacte du paysage protégé l’emporte sur l’intérêt public à la réalisation de la décharge prévue par le plan d’affectation. Le Tribunal fédéral aboutit en particulier à cette conclusion compte tenu du fait que les autorités cantonales n’ont pas suffisamment envisagé en collaboration avec d’autres cantons des sites alternatifs pour le dépôt des déchets en question.

Par conséquent, le plan d’affectation projeté est contraire à l’art. 6 al. 2 OIFP en lien avec l’art. 6 al. 2 LPN.

Le Tribunal fédéral se penche ensuite sur l’absence de procédure d’étude de l’impact sur l’environnement (EIE). Cette étude a pour but de vérifier le plus tôt possible la compatibilité d’une planification ou d’une construction avec les dispositions en matière d’environnement (art. 10a al. 1 LPE). Les objets soumis à l’EIE sont définis par l’annexe de l’OEIE (art. 1 OEIE). La décharge de type A projetée en fait partie (ch. 40.4 annexe OEIE). L’EIE doit être menée dans le cadre d’une procédure donnée, c’est-à-dire dans la « procédure décisive » (art. 5 al. 1 OEIE). En l’occurrence, selon le ch. 40.4 annexe OEIE, la procédure décisive doit être désignée par le droit cantonal. Le droit zougois se réfère à cet égard à la procédure d’autorisation (art. 7 al. 1 EG USG/ZG), et non pas à la procédure de planification. Cela étant, le Tribunal fédéral précise que, même si la désignation de la procédure décisive revient au droit cantonal, le législateur cantonal doit respecter les principes du droit fédéral en la matière, en particulier ceux énoncés à l’art. 5 al. 3 OEIE. Ainsi, lorsque qu’il est prévu d’adopter un plan d’affectation spécial, l’EIE doit si possible être menée dans la procédure de planification (cf. art. 5 al. 3 OEIE).

En l’occurrence, le plan d’affectation cantonal se rapporte spécifiquement à l’établissement de la décharge et constitue donc un plan d’affectation spécial au sens de l’art. 5 al. 3 OEIE. Ce plan d’affectation fixe les principaux éléments relatifs à l’exploitation de la décharge (volume maximal, hauteur maximale, équipement, durée de l’exploitation, etc.). Ces éléments sont contraignants pour la procédure d’autorisation subséquente. Dans ces circonstances, les aspects environnementaux peuvent et doivent être examinés à l’aide d’une EIE au stade de la procédure de planification (art. 10a al. 1 LPE, art. 10b LPE, art. 5 al. 3 OEIE). C’est d’autant plus le cas lorsqu’il s’agit comme en l’espèce d’un projet complexe du point de vue de l’aménagement du territoire qui porte atteinte à un objet protégé à l’IFP. Le principe de coordination (cf. art. 25a LAT) impose alors que les paramètres essentiels du projet soient fixés dès l’élaboration du plan d’affectation.

Par conséquent, l’EIE aurait dû être menée dans la procédure d’adoption du plan d’affectation cantonal prévoyant la décharge, et ce même si le droit cantonal désigne la procédure d’autorisation comme procédure décisive. L’adoption du plan d’affectation sans avoir mené d’EIE est contraire à l’art. 5 al. 3 OEIE en lien avec les art. 10a al. 1 et 10b LPE.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours.

Proposition de citation : Tobias Sievert, La planification d’une décharge portant atteinte à un objet protégé par un inventaire fédéral, in : www.lawinside.ch/1407/