Les frais de l’appel en cause en cas de rejet de l’action principale

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ATF 143 III 106TF, 16.01.2017, 4A_271/2016* et 4A_291/2016*

Faits

Une société ayant récemment changé d’organe de révision est mise en faillite suite à l‘avis au juge effectué par le nouveau réviseur. La masse en faillite actionne par la suite ce dernier en responsabilité pour le dommage consécutif à la tardiveté de l’avis au juge. Le nouveau réviseur appelle en cause le réviseur précédent.

Le Tribunal de commerce du canton de Zurich rejette l’action en responsabilité au motif que la demanderesse a insuffisamment prouvé le montant du dommage. Il déclare donc l’appel en cause sans objet, le raye du rôle et met les coûts de la procédure d’appel en cause à la charge de l’appelant en cause.

Saisi de la cause, le Tribunal fédéral doit en particulier déterminer si les frais relatifs à l’appel en cause doivent être mis à la charge de l’appelant en cause ou du demandeur lorsque l’action principale est rejetée.

Droit

Selon l’art. 81 al. 1 CPC, une partie peut appeler un tiers en cause en faisant valoir les prétentions qu’elle estime avoir contre lui pour le cas où elle succomberait. La répartition des frais relatifs à l’appel en cause répond aux règles générales des art. 106 ss CPC.

Les prétentions récursoires de l’appelant en cause sont certes conditionnelles et dépendent du sort de l’action principale. Cela étant, contrairement à ce qu’a retenu l’instance précédente, l’appel en cause en tant que tel est inconditionnel et indépendant. Partant, si l’action principale est rejetée, l’appel en cause ne devient pas sans objet au sens de l ‘art. 107 al. 1 let. e CPC, mais doit être rejeté sur le fond.

Il n’y a dès lors pas matière à répartition des frais en équité selon l’art. 107 al. 1 let. e CPC, contrairement à ce que soutient une partie de la doctrine. La règle selon laquelle les frais sont mis à la charge de la partie succombante (art. 106 al. 1 CPC), soit l’appelant en cause, s’applique. Celui qui se décide librement à former un appel en cause supporte ainsi le risque du procès qui y est lié.

C’est certes à tort que l’instance précédente a déclaré que l’appel en cause était devenu sans objet et l’a rayé du rôle au lieu de le rejeter sur le fond. Elle a néanmoins mis l’ensemble des frais relatifs à l’appel en cause à la charge de l’appelant en cause. Dans son résultat, la répartition des frais opérée par l’instance précédente est ainsi conforme à la règle de l’art. 106 CPC selon laquelle la partie succombante supporte les frais. Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note

Sur le fond, la masse faisait valoir son dommage consécutif à la tardiveté de l’avis au juge (Konkursverschleppungsschaden). A teneur de jurisprudence (TF 4C.263/2004), un tel dommage correspond à la différence entre la situation patrimoniale de la société au moment où l’organe concerné aurait dû prévenir le juge et celle prévalant au moment de l’avis effectif au juge. La valeur de liquidation est déterminante.

In casu, il n’existait pas de bilan intermédiaire à la date précise à laquelle le juge aurait dû être prévenu, ni à la date du prononcé de faillite. Pour ce motif, la masse a calculé son dommage sur la base de documents comptables établis à la fin des mois pertinents. En outre, la valeur de liquidation des actifs de la société au moment où l’avis au juge aurait dû avoir lieu – respectivement à la fin du mois pertinent – n’était pas connue. En conséquence, la masse avait opéré diverses corrections des valeurs figurant au bilan pour refléter la valeur de liquidation.

Le tribunal de commerce a estimé que la masse n’avait pas établi que la situation patrimoniale était la même à la fin du mois qu’aux dates véritablement pertinentes pour la détermination du dommage. De plus, la masse avait insuffisamment justifié les corrections de valeur apportées au bilan produit. Aux termes de l’art. 42 al. 2 CO, lorsque le montant exact du dommage ne peut être établi, le juge le détermine équitablement en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée. En l’espèce, le tribunal de commerce a cependant retenu qu’il était impossible de déterminer le dommage et que l’action devait être rejetée.

Le Tribunal fédéral n’est pas entré en matière sur le recours de la demanderesse sur ce point au motif qu’il était insuffisamment motivé (art. 42 al. 2 LTF). Une décision en la matière aurait toutefois apporté un éclaircissement bienvenu, dès lors que la situation où un bilan intermédiaire aux dates précises déterminantes pour le calcul du dommage et la valeur de liquidation des biens au moment où aurait dû survenir l’avis au juge ne sont pas donnés est susceptible de se présenter régulièrement en pratique.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, Les frais de l’appel en cause en cas de rejet de l’action principale, in : www.lawinside.ch/390/