Le droit au regroupement familial fondé sur l’art. 8 CEDH

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ATF 145 I 227 | TF, 28.05.2019, 2C_920/2018* 

L’art. 8 CEDH peut fonder un droit au regroupement familial dans certaines circonstances. L’âge de l’enfant au moment où le Tribunal fédéral statue est alors déterminant. Lorsque l’enfant devient majeur en cours de procédure, il perd tout droit potentiel à l’obtention d’une autorisation de séjour et son recours est donc irrecevable (art. 83 let. c ch. 2 LTF).

Faits            

Une ressortissante malgache est au bénéfice d’une autorisation d’établissement en Suisse. Ses deux enfants, encore domiciliés à Madagascar, déposent une demande de visa long séjour et une demande de regroupement familial auprès de l’ambassade de Suisse. Le premier obtient une autorisation de séjour à ce titre, mais la seconde se la voit refuser par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), au motif que sa demande de regroupement familial a été déposée tardivement et qu’il n’existe pas de raisons familiales majeures permettant d’autoriser un regroupement familial différé.

La ressortissante malgache et sa fille ayant été déboutées par le Tribunal administratif fédéral (arrêt F-384/2017 du 4 septembre 2018), elles exercent un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci est amené à confirmer sa jurisprudence relative à l’octroi d’une autorisation de séjour fondé sur l’art. 8 CEDH.

Droit

La recevabilité des recours en matière de droit des étrangers est limitée par l’art. 83 let. c ch. 2 LTF aux cas dans lesquels le droit fédéral ou le droit international donnent droit à une autorisation. Dans ce cadre, un droit potentiel étayé par une motivation soutenable est suffisant (ATF 139 I 330).

Le Tribunal fédéral examine donc l’existence d’un tel droit, lequel pourrait en l’espèce se fonder sur la Loi fédéral sur les étrangers et l’intégration (LEI, anciennement LEtr) ou sur l’art. 8 par. 1 CEDH. La première de ces hypothèses est rapidement écartée, les recourantes ne réunissant pas les conditions du droit au regroupement familial (art. 43 et 47 LEI).

Le Tribunal fédéral rappelle ensuite que l’art. 8 CEDH peut également fonder un droit à séjourner en Suisse aux enfants étrangers mineurs dont les parents bénéficient d’un droit de présence assuré en Suisse, voire aux enfants majeurs se trouvant dans un état de dépendance particulier par rapport à leurs parents. De jurisprudence constante, c’est l’âge de l’enfant au moment où le Tribunal fédéral statue qui est déterminant (ATF 136 II 497).

Or en l’espèce, la recourante concernée est devenue majeure en cours de procédure. Le Tribunal administratif fédéral, cité par les recourantes, a toutefois récemment jugé que le moment déterminant, s’agissant de l’âge de l’enfant, devrait en réalité être celui du dépôt de la demande d’autorisation de séjour (arrêt F-3045/2016 du 25 juillet 2018). Afin de déterminer si un revirement de jurisprudence se justifie au regard de cette décision, le Tribunal fédéral entreprend de rappeler les origines et les motifs fondant sa propre pratique en la matière.

Le Tribunal fédéral détermine en principe la recevabilité d’un recours en se fondant sur la situation de fait et de droit prévalant au moment où il rend son arrêt. Dès lors, en matière de droit des étrangers, la recevabilité n’est pas donnée si l’obtention d’une autorisation de séjour se base sur un motif spécifique ayant disparu depuis le prononcé de l’arrêt attaqué, car le recourant n’a alors plus d’intérêt actuel à recourir. Dans la mesure où l’art. 8 par. 1 CEDH vise en premier lieu la réunion d’époux ou de parents avec leurs enfants mineurs, les enfants majeurs ne peuvent donc pas déposer un recours au Tribunal fédéral fondé sur cette seule disposition.

Le Tribunal administratif fédéral, dans l’arrêt précité, a critiqué cette jurisprudence en soulignant qu’elle fait dépendre la recevabilité d’un recours de la célérité avec laquelle une procédure est menée. En outre, la CourEDH aurait une pratique plus souple en la matière.

Le Tribunal fédéral souligne avoir tenu compte du risque qu’un manque de célérité d’une juridiction ne puisse conduire à l’irrecevabilité d’un recours formé devant lui. Ce risque, qui n’est pas propre au droit des migrations, ne porterait toutefois pas atteinte en lui-même à l’égalité de traitement ou à la prévisibilité du droit, une action pour déni de justice demeurant envisageable comme ultima ratio. Au sujet du second argument du Tribunal administratif fédéral, le Tribunal fédéral souligne que, même si la CourEDH a déjà constaté des violations de l’art. 8 CEDH dans des cas où l’enfant concerné était devenu majeur en cours de procédure devant les instances nationales, elle ne l’a jamais fait en se fondant spécifiquement sur cette circonstance.

Sur la base de ces considérations, le Tribunal fédéral conclut qu’aucun élément objectif nouveau ne justifie de revirement de jurisprudence. Il laisse en revanche ouvertes les questions de savoir si la pratique actuelle vaut également (i) lorsque la procédure de traitement d’une demande de regroupement familial a été exagérément longue et (ii) lorsque le mineur devient majeur juste avant qu’il ne statue.

Enfin, le Tribunal fédéral souligne que sa pratique en la matière ne découle que des règles de procédure de la LTF  ; dès lors, le Tribunal fédéral administratif peut parfaitement s’en tenir à sa pratique divergente et entrer en matière sur des recours déposés par des enfants devenus majeurs contre des décisions du SEM.

Partant, le Tribunal fédéral déclare le recours irrecevable.

Proposition de citation : Quentin Cuendet, Le droit au regroupement familial fondé sur l’art. 8 CEDH, in : www.lawinside.ch/785/