Aucun droit au séjour fondé sur le droit au respect de la vie privée (art. 8 CEDH) après l’extinction de l’autorisation (art. 61 al. 2 LEI)

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ATF 149 I 66 | TF, 23.06.2022, 2C_528/2021*

Lorsqu’un ressortissant étranger au bénéfice d’une autorisation de séjour quitte la Suisse pour une durée de plus de six mois, son titre de séjour s’éteint automatiquement (art. 61 al. 2 LEI). Il ne peut alors faire valoir de droit au séjour tiré de la protection de la vie privée (art. 8 par. 1 CEDH), et ce même s’il a séjourné en Suisse durant de nombreuses années.

Faits

Le 16 mars 2010, l’Office fédéral des migrations (actuellement : Secrétariat d’État aux migrations) admet à titre provisoire un ressortissant somalien. À partir de mai 2016, ce dernier bénéfice d’une autorisation de séjour, sa situation étant considérée comme un cas individuel d’une extrême gravité.

Fin 2019, dit Office apprend que l’intéressé s’est rendu du 1er septembre 2018 au 29 avril 2019 en Somalie, pour rendre visite à son épouse et à sa famille. Par décision du 26 mai 2020, cette autorité constate que l’autorisation de séjour du ressortissant a pris fin conformément à l’art. 61 al. 2 LEI. Aussi, elle décide de ne pas réoctroyer ou prolonger l’autorisation de ce ressortissant et lui ordonne de quitter la Suisse d’ici août 2020.

Le ressortissant somalien recourt jusqu’au Tribunal fédéral. Celui-ci doit alors déterminer si le refus d’octroyer une autorisation de séjour à un ressortissant étranger séjournant en Suisse depuis de nombreuses années viole le droit au respect de la vie privée au sens de l’art. 8 CEDH.

Précision est faite que le Tribunal fédéral n’examine pas la présente affaire sous l’angle du droit au respect de la vie familiale (art. 8 CEDH), le ressortissant ne disposant pas de membres de sa famille ayant un droit de présence assuré en Suisse et l’intéressé n’invoquant pas cet aspect de l’art. 8 CEDH.

Droit

Le Tribunal fédéral commence par rappeler qu’en principe chaque État est compétent pour réglementer l’entrée et le séjour des étrangers sur son propre territoire. La CEDH ne confère en effet aucun droit à l’entrée et au séjour ou à un titre de séjour dans un État donné.

En se fondant sur le droit au respect de la vie privée (art. 8 par. 1 CEDH), on peut néanmoins partir du principe qu’après un séjour légal d’environ dix ans, les relations sociales dans le nouveau pays sont devenues si étroites qu’il faut des raisons particulières pour mettre fin au séjour. La durée décennale peut varier d’un cas à l’autre selon le degré d’intégration du ressortissant étranger.

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral souligne que l’art. 8 CEDH vise à permettre à un étranger de rester sur un territoire donné, en l’occurrence en Suisse, afin de pouvoir continuer à entretenir les relations sociales créées. L’invocation d’un droit au séjour déduit de l’art. 8 CEDH suppose donc l’existence d’une autorisation de séjour actuelle que l’on souhaite prolonger. Lorsqu’une autorisation délivrée n’existe plus, par exemple en raison de son extinction, le ressortissant doit demander l’octroi d’une nouvelle autorisation. Il ne peut, dès lors, faire valoir un droit au séjour en vertu de l’art. 8 CEDH.

L’extinction des autorisations est régie par l’art. 61 LEI. Celui-ci prévoit en particulier que l’autorisation de séjour prend fin après six mois si l’étranger quitte la Suisse sans déclarer son départ. Cette extinction intervient indépendamment de la raison du départ et automatiquement – même s’il existait un droit à la prolongation de l’autorisation. Accepter le retour d’une personne étrangère séjournant en Suisse depuis de nombreuses années, après une absence de plus de six mois à l’étranger, en se fondant sur un droit au séjour déduit de l’art. 8 par. 1 CEDH, viderait l’art. 61 al. 2 LEI de sa substance. Or, tel n’est pas la volonté du législateur.

En l’espèce, le ressortissant a quitté la Suisse de septembre 2018 à avril 2019, ce qui correspond à huit mois. Conformément à l’art. 61 al. 2 LEI, son titre de séjour a expiré de plein droit après six mois, soit le 28 février 2019. Le séjour de ce ressortissant en Suisse suppose ainsi l’octroi d’une nouvelle autorisation. Dans ces circonstances, il ne peut se prévaloir d’un droit au séjour fondé sur l’art. 8 par. 1 CEDH. Le grief tiré de la violation du droit au respect de la vie privée (art. 8 CEDH) est par conséquent infondé.

Enfin, le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 30 al. 1 let. k LEI permet de déroger aux conditions d’admission usuelles (art. 18 à 29 LEI), afin de faciliter la réadmission en Suisse d’étrangers qui ont été titulaires d’une autorisation de séjour. Dite disposition s’applique aux personnes qui ont des liens étroits avec la Suisse et dont l’autorisation a expiré en vertu de l’art. 61 al. 2 LEI – tel qu’il est le cas en l’espèce. Une autorisation délivrée dans ce contexte relève néanmoins du pouvoir discrétionnaire de l’autorité, raison pour laquelle cette décision ne peut en principe pas faire l’objet d’un recours par-devant le Tribunal fédéral.

Eu égard à ce qui précède, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Elena Turrini, Aucun droit au séjour fondé sur le droit au respect de la vie privée (art. 8 CEDH) après l’extinction de l’autorisation (art. 61 al. 2 LEI), in : https://www.lawinside.ch/1241/