La prise en charge des frais d’avocat·e par la LAVI : pas de péremption ni de subsidiarité

Télécharger en PDF

ATF 149 II 246 | TF, 02.06.2023, 1C_344/2022, 1C_656/2022*

L’aide aux victimes peut prendre en charge les frais d’avocat·e d’une victime exclusivement au titre d’aide immédiate (art. 13 al. 1er LAVI) ou d’aide à plus long terme (art. 13 al. 2 LAVI) et non d’indemnité au sens de l’art. 19 LAVI. Le droit à la prise en charge de tels frais ne se périme pas. Il n’est ainsi pas nécessaire que la victime présente sa requête d’assistance avant la fourniture des prestations juridiques. Enfin, la prise en charge de ces frais par l’aide aux victimes n’est pas subsidiaire à l’assistance judiciaire gratuite.

Faits

Dans le cadre d’une procédure pénale, avant le renvoi en jugement du prévenu, une victime d’actes sexuels formule à titre subsidiaire des prétentions fondées sur la LAVI. Le Bezirksgericht de Weinfelden (Thurgovie) disjoint la procédure concernant ces prétentions de la procédure pénale et la suspend jusqu’à l’entrée en force de la décision pénale.

Après la condamnation définitive du prévenu et l’octroi à la victime d’une indemnité pour tort moral, le Bezirksgericht reprend la procédure LAVI. Il octroie à la victime l’indemnité pour tort moral sollicitée mais rejette sa requête tendant à l’indemnisation de son conseil juridique pour la procédure pénale. A l’appui de cette décision, il retient que la requête aurait dû être présentée au Département cantonal de la justice et de la sécurité et qu’il n’est dès lors pas compétent pour statuer sur celle-ci. Ce nonobstant, il examine matériellement la requête et considère qu’elle est mal fondée, raison pour laquelle il la rejette.

Cette décision est confirmée en deuxième instance, l’Obergericht thurgovien considérant que le Tribunal n’était certes pas compétent, mais que la requête n’était néanmoins pas fondée.

La victime interjette un premier recours au Tribunal fédéral contre cet arrêt.

En parallèle de cette procédure et après la décision de première instance, elle saisit le Département thurgovien de la justice et de la sécurité d’une requête tendant à la prise en charge de ses frais d’avocat-e. Le Département, par une décision confirmée sur recours par le Tribunal administratif du canton, rejette cette requête, au motif qu’elle a été présentée de façon tardive et que, en tout état, elle est infondée car elle ne respecte pas le principe de subsidiarité.

La victime saisit alors le Tribunal fédéral d’un second recours.

Après avoir joint les deux procédures, le Tribunal fédéral doit déterminer (i) auprès de quelle autorité la requête tendant à la prise en charge des frais d’un conseil juridique par la LAVI devait être déposée, (ii) si cette requête doit être déposée dans un certain délai, singulièrement avant que le conseil ne déploie son activité et (iii) si la prise en charge de tels frais fondée sur la LAVI est subsidiaire à leur prise en charge par l’assistance judiciaire gratuite.

Droit

En premier lieu, le Tribunal fédéral examine si c’est à bon droit que le Bezirksgericht a considéré qu’il était incompétent pour trancher la requête de prise en charge des frais d’avocat·e.

Selon les §§ 53-54 de la loi thurgovienne sur la justice civile et pénale (dans leur version en vigueur jusqu’au 31 janvier 2021), le tribunal pénal compétent tranche les prétentions en dommages-intérêts et en tort moral conformément aux art. 19-32 LAVI, tandis que le Département examine les requêtes d’aide immédiate et d’aide à plus long terme prévues par l’art. 13 LAVI. L’autorité compétente dépend(ait) ainsi de la qualification de la prétention à la lumière du droit matériel de l’aide aux victimes.

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral rappelle que la LAVI distingue l’aide immédiate fournie à la victime et à ses proches pour répondre aux besoins les plus urgents résultant de l’infraction (art. 13 al. 1 LAVI), l’aide à plus long terme destinée à compenser ou à supprimer les autres conséquences de l’infraction (art. 13 al. 2 LAVI) ainsi que la prétention de la victime et de ses proches de recevoir une indemnité pour le dommage subi du fait de l’atteinte (art. 19 al. 1 LAVI).

Le Tribunal fédéral relève ensuite que, selon l’art. 5 OAVI, la prise en charge des frais d’avocat·e ne peut être accordée qu’à titre d’aide immédiate ou d’aide à plus long terme. Cette disposition concrétise à ses yeux correctement les règles de la LAVI. Ainsi, on ne saurait s’en tenir à l’ancienne jurisprudence, rendue sous l’empire de l’ancienne LAVI, à teneur de laquelle les frais d’avocat·e pouvaient subsidiairement être réclamés en tant qu’éléments du dommage subi. De tels frais peuvent désormais exclusivement être réclamés en tant qu’aide immédiate (art. 13 al. 1 LAVI) ou aide à plus long terme (art. 13 al. 2 LAVI) et non par le biais d’une indemnité au sens de l’art. 19 al. 1 LAVI.

Dans ces circonstances, conformément aux dispositions d’organisation judiciaire cantonale, c’était bien le Département de la justice et de la sécurité et non le Bezirksgericht qui était compétent pour statuer sur la requête de prise en charge. Contrairement à ce qu’affirme la recourante, une telle répartition des compétences n’est ni arbitraire (art. 9 Cst.), ni contraire à la primauté du droit fédéral (art. 49 Cst.). Il s’agit au contraire d’un système répandu dans les cantons.

Le Tribunal fédéral accueille en revanche favorablement le grief de la recourante qui soulève que le Bezirksgericht et, à sa suite, l’Obergericht ont agi de façon arbitraire (art. 9 Cst.) et contraire au droit à un procès équitable (art. 29-30 Cst.) en statuant sur le fond de la requête alors que celle-ci ne relevait pas de leur compétence.

Pour cette raison, le Tribunal fédéral admet déjà le premier recours formé par la recourante et annule la décision rendue par l’Obergericht.

En deuxième lieu, le Tribunal fédéral se demande si la requête de prise en charge était tardive.

A ce propos, il relève que l’art. 15 al. 2 LAVI précise que la victime et ses proches peuvent s’adresser à un centre de consultation quelle que soit la date à laquelle l’infraction a été commise. Contrairement aux dommages-intérêts ou à l’indemnité pour tort moral (cf. art. 25 LAVI), le droit d’obtenir de l’aide d’un centre de consultation ne se périme ainsi pas. Dès lors que la prise en charge des frais d’avocat·e constitue une prestation d’aide que les centres de consultation fournissent par l’intermédiaire de tiers (art. 13 al. 3 LAVI), elle est soumise à ce même régime. Il n’est dès lors pas nécessaire de présenter la requête de prise en charge avant de faire appel à la personne externe. Les autorités doivent admettre les requêtes ultérieures lorsque les conditions de prise en charge sont remplies. La victime court seulement le risque que l’aide aux victimes, conformément aux principes de calcul des art. 16 cum 6 LAVI, ne prenne pas en charge l’intégralité des coûts.

En l’espèce, il en résulte que la requête présentée par la victime à l’issue de la procédure pénale n’était pas tardive.

En troisième et dernier lieu, le Tribunal fédéral doit déterminer si la prise en charge des frais d’avocat·e par l’aide aux victimes est subsidiaire à leur prise en charge par l’assistance judiciaire gratuite.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que, à teneur de la jurisprudence rendue sous l’ancienne LAVI, les prestations fondées sur l’aide aux victimes sont effectivement subsidiaires à celles de l’assistance judiciaire gratuite. A l’époque, soit avant la révision totale de la LAVI et l’entrée en vigueur de la compétence fédérale en matière de procédure pénale (art. 123 al. 1 Cst.) ainsi que du CPP, le Tribunal fédéral était parvenu à cette conclusion en particulier afin de tenir compte de la volonté du législateur de ne pas empiéter sur les compétences cantonales en matière de procédure pénale, incluant la réglementation de l’assistance judiciaire. Le Tribunal fédéral constate que la situation juridique a toutefois considérablement évolué depuis, de sorte qu’il convient de réexaminer la question.

Selon l’art. 4 LAVI, les prestations d’aide aux victimes ne sont accordées définitivement que lorsque l’auteur de l’infraction ou un autre débiteur ne versent aucune prestation ou ne versent que des prestations insuffisantes. Cette disposition exprime une subsidiarité générale de l’aide aux victimes par rapport à d’autres personnes et institutions obligées. L’assistance judiciaire gratuite n’est pas expressément mentionnée. Or, le Tribunal fédéral relève que cette assistance est fournie par le même canton qui est tenu de fournir des prestations d’aide aux victimes. On ne peut dès lors qualifier le canton d’« autre débiteur » au sens de l’art. 4 al. 1 LAVI.

Cette interprétation littérale qui tend à exclure un rapport de subsidiarité entre les prestations de la LAVI et les prestations de l’assistance judiciaire gratuite est confortée par les autres éléments d’interprétation :

  • Les travaux préparatoires relatifs à l’art. 4 LAVI ne mentionnent à aucun endroit l’assistance judiciaire, mais se rapportent à l’auteur ou l’autrice de l’acte, aux assurances sociales et privées ainsi qu’aux Etats étrangers.
  • Du point de vue systématique, considérer que la prétention issue de l’aide aus victimes est subsidiaire à la prétention d’assistance judiciaire gratuite reviendrait à placer les victimes les plus démunies dans une moins bonne situation que les victimes qui, tout en ne remplissant pas les conditions de l’assistance judiciaire gratuite, peuvent bénéficier d’une aide aux victimes au sens des art. 6 et 16 LAVI. Tandis que les premières devraient immédiatement solliciter l’assistance judiciaire gratuite dans la procédure pénale, les secondes pourraient sans autre faire valoir ultérieurement leur prétention sur la base de la LAVI. Une telle situation serait contraire à l’égalité de traitement (art. 8 Cst.), que l’art. 30 al. 3 LAVI a particulièrement cherché à protéger en matière d’assistance juridique des victimes.
  • Enfin, refuser la prise en charge des frais d’avocat·e au motif que l’assistance judiciaire gratuite n’a pas été sollicitée irait à l’encontre de l’objectif de la LAVI, qui est d’éviter que les victimes doivent solliciter des prestations d’aide sociale lorsque leurs débiteurs primaires ne fournissent pas ou insuffisamment leurs prestations.

L’interprétation de l’art. 4 al. 1 LAVI révèle ainsi que l’aide aux victimes n’est pas subsidiaire à l’assistance judiciaire gratuite. Une victime qui aurait droit à l’assistance judiciaire gratuite mais ne fait pas valoir ce droit dans la procédure pénale peut ainsi toujours solliciter ultérieurement la prise en charge de ses frais d’avocats par l’aide aux victimes.

Dans le cas d’espèce, on ne peut ainsi reprocher à la recourante de ne pas avoir sollicité l’assistance judiciaire gratuite en cours de procédure. Ayant au surplus rendu vraisemblable qu’elle ne pouvait recouvrer la somme auprès de l’auteur condamné, sa requête remplit les conditions de l’art. 4 al. 1 et 2 LAVI. Il appartenait dès lors au Tribunal administratif d’examiner matériellement sa prétention. Le second recours est ainsi également admis et la cause renvoyée à l’Obergericht.

Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, La prise en charge des frais d’avocat·e par la LAVI  : pas de péremption ni de subsidiarité, in : https://www.lawinside.ch/1343/