Discrimination salariale : l’équivalence des tâches entre une employée et son prédécesseur 

Télécharger en PDF

TF, 20.07.2021, 4A_636/2020

Bien qu’ils aient occupé le même poste, il existe une différence importante en termes d’exigences et de responsabilité entre un employé qui lance de nouveaux processus sur le plan stratégique et une employée qui poursuit et met en œuvre ce qui a déjà été lancé. Le risque d’échec étant nettement inférieur dans ce second cas, il s’agit d’une raison objective d’inégalité de traitement, justifiant en l’espèce une inégalité salariale.

Faits

Une employée, engagée comme Director Operational Excellence, constate qu’elle perçoit un salaire moins élevé que son prédécesseur qui occupait le même poste – soit de CHF 230’000.- contre CHF 300’000.- par année.

Estimant qu’il s’agit d’une discrimination salariale à raison du sexe, elle dépose une demande contre son employeur auprès du Tribunal des prud’hommes de Zurich et réclame la différence (nette) par rapport au salaire de son prédécesseur.

Le Tribunal des prud’hommes zurichois admet la demande de l’employée. Celle-ci aurait rendu vraisemblable une discrimination fondée sur le sexe, sans qu’aucun motif objectif ne justifie cette différence salariale.

Saisi d’un appel de l’employeur, l’Obergericht du Canton de Zurich admet l’appel et rejette la demande de l’employée (LA200010-O/U). Il considère que ses fonctions et celles de son prédécesseur ne sont pas équivalentes. En effet, ce dernier aurait assumé une tâche de nature stratégique et ainsi endossé une responsabilité plus élevée. L’Obergericht laisse toutefois indécise la question de savoir si l’employée a rendu vraisemblable une discrimination salariale.

Saisi par l’employée, le Tribunal fédéral est amené à se prononcer sur le fardeau de la preuve en matière de discrimination salariale à raison du sexe ainsi que sur l’équivalence des tâches entre l’employée et son prédécesseur.

Droit

L’art. 3 LEg interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement soit indirectement. Cette interdiction s’applique notamment à la rémunération.

En vertu de l’art. 6 LEg, l’existence d’une discrimination salariale est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable. Si elle y parvient, il appartient alors à l’employeur de prouver que la différence de rémunération est justifiée par des critères objectifs (tels que la formation, l’âge, l’expérience, la charge familiale, etc). Le fardeau subjectif de l’allégation (subjektive Behauptungslast) pour renverser la présomption de l’art. 6 LEg incombe à l’employeur.

Si l’employé conteste les faits allégués par l’employeur, ce dernier doit, dans un second temps, les exposer de façon plus précise, non seulement dans leurs traits essentiels, mais aussi de telle sorte qu’ils puissent faire l’objet de preuves ou que la contre-preuve puisse être apportée (cf. ATF 144 III 519, résumé in Lawinside.ch/686). Il s’agit du fardeau de la motivation des allégués (Substanziierungslast der Tatsachenbehauptungen).

En l’espèce, l’employeur a justifié l’inégalité salariale par la différence entre les fonctions et les responsabilités de l’employée et celles de son prédécesseur. L’employée prétend cependant que les allégués de l’employeur ne sont pas assez motivés.

D’après le Tribunal fédéral, l’employeur n’était pas obligé de motiver davantage ses allégations, l’employée n’ayant pas suffisamment contesté les faits lors de la procédure cantonale. En effet, elle a uniquement nié l’existence des différences invoquées par l’employeur, mais a omis d’expliquer pourquoi – selon elle – ces différences ne justifieraient pas un écart de rémunération.

En outre, l’employée conteste l’appréciation des preuves faite par l’Obergericht selon laquelle ses tâches ne seraient pas équivalentes à celles de son prédécesseur. Le tribunal zurichois a jugé que l’employée n’a fait que développer ce que son prédécesseur avait déjà mis sur pied. Il a ainsi retenu qu’il existait une différence importante en termes d’exigences et de responsabilité entre une personne qui lance de nouveaux processus sur le plan stratégique et une personne qui poursuit et met en œuvre ce qui a déjà été lancé.

L’employée reproche également à l’Obergericht d’avoir fondé sa décision sur son cahier des charges, qui dépendrait de l’évolution constante de l’entreprise et constituerait dès lors un élément aléatoire inadmissible.

Selon le Tribunal fédéral, le fait que l’employeur tienne compte du développement de l’entreprise lors d’une nouvelle nomination n’entraîne pas de discrimination. Il s’agit d’un aspect non sexiste qui aurait également un effet en faveur ou au détriment d’un successeur.

De plus, est déterminante la tâche pour laquelle l’employée a été engagée et donc les risques ou responsabilités qui étaient associés à cette tâche au moment de son entrée en fonction.

Ainsi, le Tribunal fédéral ne remet pas en cause l’appréciation des preuves faites par l’ObergerichtLe risque d’échec de l’employée est nettement inférieur à celui de son prédécesseur. Il ne s’agit pas d’un élément aléatoire, mais d’une raison objective d’inégalité de traitement. Le libellé identique des contrats n’y change rien.

Par conséquent, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note

Il ressort de cet arrêt qu’une employée qui rend vraisemblable une discrimination salariale ne peut pas se contenter de contester “en bloc” les motifs justificatifs allégués par l’employeur. Elle doit détailler ses contestations. À ce titre, le Tribunal fédéral fournit plusieurs exemples de contestations que l’employée aurait pu invoquer dans le cas d’espèce :

  • L’employée peut nier que les tâches sont effectivement différentes ;
  • L’employée peut nier que les différences invoquées sont susceptibles de justifier la différence de salaire existante ;
  • L’employée peut soutenir que les différences ne constituent pas la raison réelle de la différence de salaire (p.ex. si les mêmes différences ne conduisent pas à des montants de salaire différents pour d’autres employés).

Par ce raisonnement, le Tribunal fédéral semble confirmer sa jurisprudence et son approche stricte en matière d’allégation et de contestation des allégués (cf. ATF 144 III 519 c. 5.2.2.1 et 141 III 433 c.2.6 ; François Bohnet, Allégations et contestations : la dialectique procédurale, Revue de l’avocat 9/2020, p. 346 ss).

Par ailleurs, l’employée a invoqué la violation de son droit d’être entendue. Selon elle, le raisonnement de l’Obergericht aurait dû se faire en deux étapes afin de tenir compte des différents degrés de preuve requis. Le jugement aurait dû refléter cette structure.

  • La première étape serait celle de la présomption de discrimination. Celle-ci devrait être rendue vraisemblable par l’employé (art. 6 LEg).
  • La deuxième étape serait celle de la réfutation de cette présomption par l’employeur, laquelle devrait quant à elle être prouvée.

Selon le Tribunal fédéral, une décision en deux étapes n’est pas obligatoire dans les procédures d’appel. Même en première instance, la question de la vraisemblance de la discrimination (1ère étape) peut être laissée indécise, à condition que la preuve du contraire par l’employeur (2ème étape) ait été considérée comme établie.

Ainsi l’Obergericht n’a pas violé le droit d’être entendue de l’employée en rejetant sa demande sans qu’elle n’ait pu rendre vraisemblable une prétendue discrimination.

Proposition de citation : Ariane Legler, Discrimination salariale  : l’équivalence des tâches entre une employée et son prédécesseur , in : www.lawinside.ch/1091/