Le jugement prudhommal condamnant au paiement de montants bruts et la mainlevée définitive de l’opposition

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ATF 149 III 258 | TF, 29.03.2023, 5A_816/2022*

Poursuivi pour le paiement de montants bruts à la suite d’un jugement définitif et exécutoire (art. 80 al. 1 LP), l’employeur peut soulever, à titre d’exception au sens de l’art. 81 al. 1 LP, son obligation de verser les cotisations sociales. Il lui incombe alors de prouver par titre l’étendue de son obligation, sans qu’il ait à se prévaloir d’un paiement effectif.

Faits

Le Tribunal des prud’hommes genevois, puis la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice condamnent solidairement deux personnes à verser à leur ancienne employée plusieurs montants bruts.

L’Office des poursuites fait notifier un commandement de payer à l’un des créanciers. Le Tribunal de première instance prononce ensuite la mainlevée définitive de l’opposition du créancier. Après l’annulation du jugement sur recours du poursuivi, la Cour de justice prononce à son tour la mainlevée définitive de l’opposition.

Le poursuivi exerce un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Ce dernier doit répondre à la question de savoir si, sur la base d’un jugement condamnant l’employeur à verser un salaire brut, le juge de la mainlevée doit accorder la mainlevée définitive et, le cas échéant, pour le salaire net ou pour le salaire brut.

Droit

Le recourant se plaint en particulier d’une violation de l’art. 81 al. 1 LP. Selon cette disposition, lorsque la poursuite est fondée sur un jugement exécutoire rendu par un tribunal ou une autorité administrative suisse, le juge ordonne la mainlevée définitive de l’opposition, à moins que l’opposant ne prouve par titre que la dette a été éteinte ou qu’il a obtenu un sursis, postérieurement au jugement, ou qu’il ne se prévale de la prescription.

Le Tribunal fédéral commence par confirmer sa jurisprudence selon laquelle un jugement condamnant au paiement d’un montant brut, sous déduction des cotisations sociales, constitue un titre de mainlevée définitive de l’opposition au sens de l’art. 80 LP (cf. TF, 16.12.02, 5P.364/2002, c. 2.1.2). La possibilité de requérir du juge d’accorder la mainlevée à hauteur du salaire net n’entre donc en considération qu’à titre d’exception, au sens de l’art. 81 al. 1 LP.

Le Tribunal fédéral rappelle ensuite que, malgré le système paritaire applicable au versement de certaines cotisations sociales, l’employeur est le débiteur de la totalité des charges sociales à l’égard de l’institution en cause, contrairement à l’employé (cf. art. 14 LAVS en lien avec art. 3 al. 2 LAI, art. 27 LAPG, art. 6 LACI, art. 91 al. 3 LAA et art. 66 al. 3 LPP). Il en découle que, lorsqu’il est poursuivi en paiement d’une créance de salaire brut, l’employeur peut opposer, à titre d’exception au sens de l’art. 81 al. 1 LP, son obligation de payer les cotisations sociales, dont il est le débiteur unique.

Selon le Tribunal fédéral, il est alors suffisant que l’employeur apporte la preuve par titre de l’étendue de son obligation de s’acquitter des cotisations sociales, sans prouver le paiement effectif des cotisations avant celui du salaire net. S’il n’apporte pas la preuve de l’étendue de son obligation, la mainlevée définitive doit être octroyée à hauteur de la créance salariale brute. Il n’appartient en effet pas au juge de la mainlevée de revoir le fond du jugement en déterminant le salaire net.

Partant, en l’espèce, c’est à tort que la Cour de justice genevoise a rejeté le grief du recourant, au motif qu’il n’avait pas démontré avoir effectivement payé les cotisations. Le Tribunal fédéral lui renvoie la cause afin qu’elle détermine si le recourant avait prouvé l’étendue de son obligation de payer et, le cas échéant, quels montants seraient déductibles. Le recours est admis.

Note

Le Tribunal fédéral relève que cette solution présente des inconvénients pour l’employé, qui risque de ne pas voir sa part des cotisations acquittée spontanément par l’employeur. Cependant, elle permet aussi de replacer l’employé dans la situation qui aurait été la sienne si l’employeur avait exécuté correctement le contrat de travail. L’employé reste par ailleurs protégé par certaines dispositions légales en cas de non-paiement des cotisations par l’employeur (cf. notamment art. 30ter al. 2 LAVS ; art. 68 LAA ; art. 73 al. 1 LPP).

Proposition de citation : Camille de Salis, Le jugement prudhommal condamnant au paiement de montants bruts et la mainlevée définitive de l’opposition, in : www.lawinside.ch/1338/