L’appel à candidatures pour des vélos en libre-service

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ATF 144 II 184 TF, 09.03.2018, 2C_229/2017*

Lorsqu’une entreprise privée est chargée par l’Etat d’accomplir une tâche publique, celle-ci doit être considérée comme un marché public selon l’art. 6 al. 3 AIMP/GE. Ainsi, le système de vélos en libre-service envisagé dans le canton de Genève entre dans le champ d’application objectif des marchés publics.

Faits

La société genevoise TPG Vélo SA organise un appel à candidatures pour l’attribution d’une concession d’occupation du domaine public en vue de l’exploitation d’un système de vélos en libre-service ou “vélibs”. La concession, d’une durée de sept ans et sujette à une indemnité annuelle de CHF 10, n’est alors – selon la publication de l’appel en novembre 2015 – pas soumise aux dispositions sur les marchés publics.

La société biennoise intermobility SA interjette recours auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice, exigeant l’annulation de l’appel à candidatures. Selon la société, les exigences techniques de l’appel excluaient le système de libre-service qu’elle avait développé.

La Cour déclare toutefois le recours irrecevable. Intermobility SA s’adresse alors au Tribunal fédéral, lequel doit trancher la question de savoir si l’appel d’offre est soumis aux règles des marchés publics.

Droit

Le Tribunal fédéral rappele qu’il n’existe pas de définition univoque de la notion de marché public. Selon la doctrine et la jurisprudence, le fait que la collectivité acquiert auprès d’une entreprise privée, moyennant un prix, les moyens dont elle a besoin pour exécuter ses tâches publiques est caractéristique d’un marché public. En revanche, le simple fait que l’Etat permette à une entreprise privée d’exercer une activité n’a pas pour effet de soumettre celle-ci aux règles des marchés publics. Il en va en principe de même lorsque l’Etat octroie une concession exclusive pour l’utilisation du domaine public.

A teneur de la jurisprudence, il en va toutefois différemment lorsque la concession octroyée est indissociablement liée à des contre-prestations d’une certaine importance et qui devraient normalement faire l’objet d’un marché public. Ainsi, l’octroi d’une concession n’exclut pas d’emblée l’application des règles des marchés publics.

En l’espèce, la concession litigieuse a été mise au concours afin de faciliter le transfert modal des habitants du transport individuel motorisé au vélo, ce qui constitue une tâche publique (cf. TF, 09.03.18, 2C_994/2016*). Or, lorsqu’une entreprise privée est chargée par l’Etat d’accomplir une telle tâche, celle-ci doit être considérée comme un marché public selon l’art. 6 al. 3 AIMP/GE. 

Certes, l’Etat ne s’acquitte in casu pas directement d’une prestation financière en faveur de l’exploitant choisi. Cependant, le prix de l’indemnité due est à ce point insignifiant par rapport à la prestation de l’Etat, laquelle permet à une entreprise privée d’utiliser le domaine public dans un but lucratif, qu’il faut considérer que celui-ci fournit une contrepartie pour la prestation. Par conséquent, le système de vélos en libre-service entre dans le champ d’application objectif des marchés publics.

Partant, le recours est admis et l’arrêt de la Cour de justice annulé, la cause lui étant renvoyée. La question du champ d’application subjectif des marchés publics – à savoir si le pouvoir adjudicateur remplit les conditions de l’art. 8 al. 1 ou 2 AIMP/GE – devra également être examinée par la Cour.

Note

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral relève que le point de savoir si l’affaire est soumise aux dispositions des marchés publics constitue une question à double pertinence. En effet, la cause concerne aussi bien l’application des conditions de l’art. 83 let. f LTF que le droit applicable au fond. Selon la jurisprudence, lorsque cette question se pose et que l’une des conditions de l’art. 83 let. f LTF n’est pas donnée, il convient d’y répondre en priorité, soit avant de procéder à l’examen de la recevabilité du recours en matière de droit public.

Il est également intéressant de noter que le canton de Genève n’est pas le seul à être concerné par la problématique du présent résumé. En effet, le Tribunal fédéral se réfère à un arrêt rendu le même jour, impliquant cette fois-ci la ville de Berne (cfTF, 09.03.18, 2C_994/2016*). Dans ce cas, le recours de la société biennoise intermobility SA a été rejeté, le Tribunal fédéral estimant que l’appel d’offres en cause avait été mené dans les règles.

Le conflit lié aux vélibs est assurément loin d’être terminé, la société Intermobility SA ayant entamé des procédures similaires dans de nombreuses autres villes.

Proposition de citation : Marie-Hélène Peter-Spiess, L’appel à candidatures pour des vélos en libre-service, in : www.lawinside.ch/591/