Affaire UBS : le Tribunal fédéral accorde l’échange de renseignements avec la France

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ATF 146 II 150 | TF, 26.07.2019, 2C_653/2018*

La demande d’assistance administrative en matière fiscale de la France visant les 45’000 comptes bancaires détenus par des clients d’UBS, identifiés moyennant les listes B et C, n’est pas une fishing expedition. Concernant la période temporelle couverte par l’échange, l’assistance administrative est accordée dès le 1er janvier 2010.

Faits

La Direction générale des finances publiques française adresse une demande d’assistance administrative en matière fiscale à l’Administration fédérale des contributions (AFC). Cette demande se fonde sur deux listes (B et C), remises à la France par les autorités allemandes, faisant état d’environ 45’000 comptes bancaires détenus par des clients d’UBS en Suisse. Ces listes ne mentionnent pas le nom des titulaires des comptes bancaires listés. Les comptes sont toutefois reliés à un code de domicile lié à la France.

Une liste A est également parvenue à la France des autorités allemandes, concernant environ 1000 comptes dont les titulaires sont, contrairement aux listes B et C, indiqués par leur nom. Un tiers des personnes figurant sur cette liste auraient déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal en France. Il en résulterait que la moitié des personnes contrôlées de la liste A seraient des contribuables français dont les avoirs ne seraient pas déclarés ou en cours de régularisation.

En parallèle, UBS fait l’objet d’une procédure pénale en France pour blanchiment aggravé de fraude fiscale.

Dans le cadre de l’assistance, la France requiert la transmission de l’identité des titulaires des comptes bancaires figurant sur les listes B et C et les relevés bancaires correspondants pour les périodes fiscales 2010 à 2015. Les autorités fiscales françaises allèguent, sur la base de statistiques liées à la liste A, que les titulaires concernés seraient très vraisemblables des contribuables français qui n’auraient pas rempli leurs obligations fiscales.

L’AFC accorde l’assistance administrative. Contre cette décision, UBS, dont la qualité de partie a été préalablement reconnue (TAF, 25.10.2016, A-4974/2016), forme un recours au Tribunal administratif fédéral, lequel qualifie la demande française de fishing expedition (TAF, 30.07.2018, A-1488/2018, résumé in : LawInside.ch/651).

L’AFC porte l’affaire au Tribunal fédéral, lequel doit se déterminer sur l’admissibilité de la demande d’assistance française.

Droit

Sur le plan de la recevabilité, le recours formé en matière d’assistance administrative fiscale n’est recevable que lorsqu’une question juridique de principe se pose ou lorsqu’il s’agit d’un cas particulièrement important au sens de l’art. 84 al. 2 LTF (cf. art. 84a LTF). Le Tribunal fédéral se demande d’abord si la question de la période temporelle couverte par l’échange de renseignements selon le type de demande d’assistance (cf. art. 2 par. 2 et 3 de l’Accord du 25 juin 2014) représente une question juridique de principe. Il laisse toutefois la question ouverte, sachant que la présente affaire peut être qualifiée de particulièrement importante au sens de l’art. 84 al. 2 LTF compte tenu du nombre important de contribuables visés et les montants conséquents en jeu. Dès lors, le Tribunal fédéral entre en matière sur le recours.

Sur le fond, le Tribunal fédéral se penche en premier lieu sur la qualification de la demande d’assistance française. Il constate que la demande vise certes un nombre conséquent de contribuables, mais qu’ils sont tous identifiables moyennant leur numéro de compte bancaire figurant sur les listes B et C. Dans ce sens, le nombre de contribuables visés est déterminé, de sorte que la demande d’assistance est qualifiée de demande collective (« Listenersuchen »). Il ne s’agit donc pas d’une demande groupée au sens de l’art. 3 let. c LAAF.

En deuxième lieu, le Tribunal fédéral se penche sur la période temporelle couverte par l’échange entre la Suisse et la France en matière de demandes collectives, étant donné que la demande d’assistance française vise l’obtention de documents dès la période fiscale 2010. Par le passé, une demande d’assistance n’était recevable qu’à la condition de fournir le nom des contribuables visés. Ce n’est qu’à la suite d’un Accord conclu le 25 juin 2014 entre la Suisse et la France que cette exigence a été atténuée, le Protocole additionnel prévoyant désormais que l’identité de la personne peut résulter de tout élément permettant une identification, à l’instar du numéro de compte bancaire (ch. XI par. 3 let. a Protocole additionnel). L’entrée en vigueur de cette modification est régie par l’art. 2 de l’Accord du 25 juin 2014. Le par. 2 de cet article prévoit que l’Accord (et donc les modifications qu’il apporte) est applicable à compter du 1er janvier 2010. Le par. 3 prévoit quant à lui que nonobstant la teneur du par. 2, la modification faite au sujet de la méthode d’identification des contribuables (cf. ch. XI par. 3 let. a Protocole additionnel) n’est applicable qu’à des faits survenus à compter du 1er février 2013.

À la suite d’une interprétation de l’art. 2 par. 2 et 3 de l’Accord du 25 juin 2014 en considérant le but et les circonstances de la conclusion de celui-ci, le Tribunal fédéral retient que le par. 3 de cette disposition ne s’applique qu’aux demandes groupées selon l’art. 3 let. c LAAF. Pour toutes les autres demandes, c’est le par. 2 qui est applicable, prévoyant l’application du Protocole modifié déjà dès la période fiscale 2010.

En l’espèce, la demande française étant qualifiée de demande collective, le ch. XI par. 3 let. a du Protocole additionnel, autorisant l’identification d’un contribuable par des moyens autres que par le nom, s’applique dès la période fiscale 2010. Partant, la demande française, identifiant les contribuables par leurs numéros de compte, est admissible dès le 1er janvier 2010.

En troisième lieu, le Tribunal fédéral se penche sur la question de savoir si la demande française peut être qualifiée de fishing expedition.

L’art. 28 ch. 1 CDI CH-FR prévoit que les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la Convention. Le ch. XI par. 2 du Protocole additionnel concrétise l’interdiction des fishing expeditions en précisant que la référence aux renseignements « vraisemblablement pertinents » a pour but d’assurer un échange de renseignements en matière fiscale qui soit le plus large possible, sans qu’il soit pour autant loisible aux États contractants « d’aller à la pêche aux renseignements » ou de demander des renseignements dont il est peu probable qu’ils soient pertinents pour élucider les affaires fiscales d’un contribuable déterminé.

Le Tribunal fédéral rappelle par la suite sa jurisprudence d’après laquelle une demande d’assistance doit remplir trois conditions pour constituer une demande collective admissible, c’est-à-dire non qualifiée de fishing expedition. Premièrement, elle doit fournir une description détaillée du groupe, qui expose les faits et les circonstances spécifiques ayant conduit à la formulation de la demande. Deuxièmement, elle doit exposer le droit fiscal applicable ainsi que les motifs permettant de supposer que les contribuables du groupe n’auraient pas rempli leurs obligations fiscales. Troisièmement, elle doit démontrer que les renseignements demandés sont propres à faire en sorte que ces obligations soient remplies.

En l’occurrence, il n’est pas contesté que les première et troisième conditions sont remplies. Les personnes concernées sont en effet identifiables selon les numéros des comptes bancaires et la communication de leur identité et des relevés bancaires est apte à déterminer le respect de leurs obligations fiscales. Seule la deuxième condition est donc litigieuse. À cet égard, le Tribunal fédéral est d’avis que les circonstances de l’affaire, notamment les contrôles fiscaux opérés sur le tiers des personnes figurant sur la liste A, laissent penser de manière suffisamment concrète que les contribuables figurant sur les listes B et C n’auraient également pas rempli leurs obligations fiscales. Le fait que l’UBS fasse l’objet en France d’une procédure pénale pour blanchiment aggravé de fraude fiscale est également un indice que les personnes figurant sur les listes concernées n’auraient pas satisfait leurs obligations fiscales.

Par conséquent, les renseignements sollicités par les autorités françaises s’avèrent vraisemblablement pertinents au sens des art. 28 ch. 1 CDI CH-FR et le ch. XI par. 2 du Protocole additionnel ; la demande collective française ne saurait être qualifiée de fishing expedition.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours de l’AFC.

Note

L’arrêt résumé ci-dessus a été rendu par le Tribunal fédéral en séance publique lors de laquelle l’auteur du présent résumé était présent. Le recours de l’AFC a été admis par trois juges contre deux.

Pour un commentaire de l’arrêt résumé ci-dessus, cf. Fabien Liégeois, Assistance administrative en matière fiscale : Le Tribunal fédéral approuve la plus grande fishing expedition du monde, publié le 12 décembre 2019 par le Centre de droit bancaire et financier, https://cdbf.ch/1098/

Proposition de citation : Tobias Sievert, Affaire UBS  : le Tribunal fédéral accorde l’échange de renseignements avec la France, in : www.lawinside.ch/851/

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