La qualité pour recourir des associations professionnelles contre une décision d’adjudication de gré à gré

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TF, 07.02.2024, 2C_196/2023*

En matière de marchés publics, une association professionnelle qui souhaite recourir contre une décision d’adjudication de gré à gré, sans être elle-même touchée par la décision entreprise, doit rendre plausible qu’une majorité ou un grand nombre de ses membres seraient à la fois aptes et disposés à soumissionner pour le marché en cause.

Faits

La Direction générale des immeubles et du patrimoine de l’Etat de Vaud (DGIP) lance un concours de projets pour le Gymnase du Chablais. Les lauréats du concours sont désignés. Par la suite, la DGIP adjuge de gré à gré la construction d’un autre gymnase, à savoir le Gymnase d’Echallens, aux lauréats du concours du Gymnase du Chablais.

Deux associations professionnelles composées d’architectes et d’ingénieurs forment un recours au Tribunal cantonal vaudois contre les décisions d’adjudication de gré à gré de la DGIP. Le Tribunal cantonal déclare le recours irrecevable au motif que les associations n’ont pas la qualité pour recourir. Les associations forment alors un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Celui-ci doit se prononcer sur la qualité pour recourir des associations professionnelles contre une décision d’adjudication de gré à gré.

Droit

La recevabilité du recours en matière de marchés publics suppose notamment que la décision attaquée soulève une question juridique de principe (art. 83 let. f ch. 1 LTF). En l’occurrence, le Tribunal fédéral ne s’est jamais prononcé sur la faculté des associations professionnelles de recourir contre les décisions d’attribution de marchés publics, en particulier contre des adjudications de gré à gré. Les pratiques cantonales à ce sujet ne sont pas uniformes. Il en résulte une insécurité juridique, de sorte que la présente cause soulève une question juridique de principe. Les autres conditions de recevabilité étant réunies, le Tribunal fédéral entre en matière sur le recours.

Le Tribunal fédéral se penche alors sur la question de fond, à savoir si c’est à juste titre que le Tribunal cantonal a déclaré irrecevable le recours des associations faute de qualité pour recourir (cf. art. 89 al. 1 et art. 111 al. 1 LTF). A qualité pour recourir celui qui a pris part à la procédure, est particulièrement atteint par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (art. 89 al. 1 LTF).

En droit des marchés publics, la qualité pour recourir contre une décision d’adjudication suppose une chance d’obtenir le marché contesté en cas d’admission du recours. Lors d’une adjudication de gré à gré, la qualité pour recourir revient aux entreprises qui démontrent être des soumissionnaires potentiels pour le marché en question. Elles doivent rendre vraisemblable qu’elles disposent de la capacité réelle de réaliser les prestations requises et qu’elles auraient déposé une offre si un appel d’offres en procédure ordinaire avait été mené (cf. art. 56 al. 5 AIMP 2019 ; art. 56 al. 4 LMP).

Selon la jurisprudence, une association qui n’est pas elle-même touchée par la décision attaquée revêt la qualité pour recourir (recours corporatif égoïste) si elle a comme but statutaire la défense des intérêts de ses membres, que ces intérêts soient communs à la majorité d’entre eux et que chacun de ceux-ci dispose de la qualité pour s’en prévaloir à titre individuel.

En matière de marchés publics, les associations professionnelles doivent satisfaire aux conditions du recours corporatif égoïste lorsqu’elles recourent dans l’intérêt de leurs membres pour contester l’attribution d’un marché public sans appel d’offres. Par conséquent, les associations professionnelles qui recourent contre une décision d’adjudication de gré à gré doivent rendre vraisemblable que la majorité ou un grand nombre de leurs membres seraient à la fois aptes et disposés à déposer une offre pour le marché en cause. Il s’agit là d’une application combinée des règles sur la qualité pour recourir des associations et de celles sur la qualité pour recourir en matière de marché public.

En l’espèce, les associations recourantes n’ont pas rendu vraisemblable que la majorité ou un grand nombre de leurs membres auraient été aptes et prêts à participer au marché public en question en cas d’admission du recours. Le fait que les associations recourantes se composent d’architectes et d’ingénieurs ne suffit pas à cet égard. Partant, c’est à juste titre que le Tribunal cantonal a déclaré le recours irrecevable.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Tobias Sievert, La qualité pour recourir des associations professionnelles contre une décision d’adjudication de gré à gré, in : www.lawinside.ch/1410/