L’enregistrement d’une conversation non publique
ATF 146 IV 126 | TF, 07.02.2020, 6B_943/2019*
Une conversation est “non publique” au sens de l’art. 179 ter CP lorsque ses participants s’entretiennent dans l’attente légitime que leurs propos ne soient pas accessibles à tout un chacun.
Faits
Afin de clarifier des faits déroulés de nuit dans un parc, le directeur de la société de surveillance en charge de ce parc appelle à deux reprises le sergent-chef du Poste de police compétent. Après avoir enregistré les deux conversations téléphoniques sans en avertir le sergent-chef, le directeur envoie les enregistrements par courriel au lieutenant de la Police de la Navigation ainsi qu’à trois autres personnes. Informé de cet envoi par le lieutenant, le sergent-chef dépose plainte pénale.
Le Tribunal de police du canton de Genève condamne le directeur pour enregistrements non autorisés de conversations (art. 179ter CP) à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 30 le jour. La Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice rejette l’appel contre ce jugement.
Saisi par le directeur, le Tribunal fédéral est amené à préciser la notion de “conversation non publique” au sens de l’art. 179ter CP.
Droit
L’art. 179ter al. 1 CP prévoit que celui qui, sans le consentement des autres interlocuteurs, aura enregistré sur un porteur de son une conversation non publique à laquelle il prenait part sera, sur plainte, puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire.
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, cette disposition ne vise pas n’importe quelle conversation non publique, mais uniquement celle qui touche au domaine privé. En effet, les art. 179bis à art. 179septies CP ont été adopté lors du renforcement de la protection pénale du domaine personnel secret. Le bien juridique protégé est ainsi le domaine secret et le domaine privé, même si l’art. 179ter CP ne le mentionne pas expressément (ATF 108 IV 161).
Cette jurisprudence a largement été critiquée par la doctrine majoritaire qui la trouve trop restrictive. En outre, elle n’a pas été reprise dans la jurisprudence ultérieure, laquelle s’est fondée sur le lieu de la conversation pour juger si l’art. 179ter CP s’appliquait (6B_406/2018).
En rejoignant la doctrine majoritaire, le Tribunal fédéral procède expressément à un changement de jurisprudence pour plusieurs raisons. Premièrement l’art. 179ter CP ne contient pas le terme “domaine secret” ou “domaine privé”, contrairement à l’art. 179quater CP. Deuxièmement, bien que le Message du Conseil fédéral se réfère à la notion de “domaine secret”, il examine en réalité la perceptibilité de la conversation par les tiers. Enfin, sous un angle téléologique, il convient que chaque individu puisse s’exprimer verbalement en toute liberté, sans craindre que ses propos ne soient enregistrés contre sa volonté.
Partant, pour déterminer si une conversation est “non publique” au sens de l’art. 179quater CP, il convient désormais de déterminer dans quelle mesure elle pouvait et devait être entendue par des tiers. La conversation n’est pas publique lorsque ses participants s’entretiennent dans l’attente légitime que leurs propos ne soient pas accessibles à tout un chacun.
En l’espèce, les conversations téléphoniques entre le sergent-chef et le directeur de la société de surveillance n’étaient pas publiques. Partant c’est à juste titre que les instances cantonales ont appliqué l’art. 179ter CP.
Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours.
Note
La condition de “conversation non publique” est également prévue à l’art. 179bis CP. Selon cette disposition, celui qui, sans le consentement de tous les participants, aura écouté à l’aide d’un appareil d’écoute ou enregistré sur un porteur de son une conversation non publique entre d’autres personnes sera, sur plainte, puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
La doctrine citée par le Tribunal fédéral considère qu’une discussion à voix normale dans un bus ou un café n’est pas publique (Michel Dupuis et al., Petit commentaire du Code pénal, 2ème éd. 2017, art. 179bis CP N 7). Par contre, selon une autre partie de la doctrine non citée par le Tribunal fédéral, une conversation dans un bistrot tenue à haute voix ne tombe pas sous le coup de l’art. 179bis CP (CR CP II-Henzelin/Massrouri, art. 179bis CP N 11).
En raison de cette nouvelle jurisprudence, cette distinction nous semble désormais désuète. En effet, les participants d’une conversation même tenue à haute voix peuvent s’entretenir dans l’attente légitime que leurs propos ne soient pas accessibles à tout un chacun.
Il est intéressant de noter que filmer une personne dans un lieu librement accessible, par exemple dans un bus ou un café, n’est en principe pas pénal (cela ne relève pas du “domaine secret” au sens de l’art. 179quater CP). Cela étant, si la caméra enregistre également la conversation de la personne filmée à son insu, cette action constitue désormais un acte pénalement répréhensible au regard de cette nouvelle jurisprudence.
Proposition de citation : Célian Hirsch, L’enregistrement d’une conversation non publique, in : www.lawinside.ch/895/