L’amiante et le droit suisse de la prescription : nouveau camouflet par la CourEDH

CourEDH, 13.02.2024, Affaire Jann-Zwicker et Jann c. Suisse, requête 4976/20

Dans les circonstances exceptionnelles propres aux victimes de l’exposition à l’amiante, l’application des délais de prescription absolus par les autorités suisses (en particulier la manière de déterminer le dies a quo) a eu pour effet de restreindre le droit d’accès à un tribunal des requérants au point de porter atteinte à l’essence même de ce droit. Il y a donc eu violation de l’art. 6 § 1 CEDH.

Faits

Entre 1961 et 1972, Marcel Jann vit avec ses parents à Niederurnen (GL), dans une maison appartenant à la société Eternit AG, à proximité immédiate de l’usine de la société. Des minéraux d’amiante fibreux y sont transformés en panneaux d’amiante-ciment. Au cours de cette période, Marcel Jann est régulièrement exposé à l’amiante. D’une part, les émissions de poussière de l’usine entrent par les fenêtres de sa chambre à coucher. De l’autre, il joue souvent sur et autour des panneaux et des tuyaux utilisés par l’usine Eternit. En outre, il assiste régulièrement au déchargement des sacs d’amiante à la gare.

Marcel Jann quitte Niederurnen à l’âge de 19 ans et n’est plus exposé à l’amiante par la suite, laquelle est interdite en Suisse en 1989.… Lire la suite

Le scandale du dieselgate et la notion de dommage

TF, 09.05.2023, 4A_17/2023

En droit suisse, la notion de dommage s’apprécie en application de la théorie de la différence qui se fonde sur l’état du patrimoine à deux moments précis. Ainsi, à défaut de perte patrimoniale, il n’y a pas de dommage. En ce sens, les dommages dits normatifs ne sont pas réparés en droit suisse, excepté le dommage ménager et l’aide gratuite apportée par les proches. Toute autre conception « normative » est exclue. En particulier, le fait d’avoir conclu un contrat qui n’aurait raisonnablement pas été conclu en toute connaissance de cause ne fonde pas un dommage.

Faits 

En 2010, une femme (la recourante) achète un véhicule d’une marque connue, équipé d’un moteur diesel. Ce véhicule a été fabriqué par une filiale sise en Suisse dont la société mère a son siège en Allemagne (la société intimée). Par communiqué officiel en 2015, la société intimée indique que certains de ses véhicules équipés d’un moteur diesel présentent des écarts significatifs entre les données officielles relatives aux émissions de CO2 et celles de conduite réelle. Quelque temps plus tard, elle met à disposition des détenteurs de véhicules concernés un logiciel gratuit permettant de les mettre aux normes. La recourante n’installe toutefois pas ce logiciel sur son véhicule, qui est alors interdit de circulation en 2018.Lire la suite

La faute grave du piéton distrait par son portable lors d’un accident de tram

ATF 148 III 343 TF, 20.05.2022, 4A_179/2021*

Le détenteur d’une entreprise ferroviaire répond en principe du préjudice causé par la réalisation d’un risque d’exploitation (art. 40b al. 1 LCdF). Cette responsabilité peut toutefois être totalement écartée dans le cas d’une victime happée par un tram après s’être brusquement engagée sur les rails, sans aucune vérification et en regardant son téléphone portable. Un tel comportement constitue une faute grave au sens de l’art. 40c al. 2 let. b LCdF.

Faits

Une personne est grièvement blessée dans une collision avec un tram. Au moment de l’accident, la victime se trouvait à un arrêt situé à proximité de son domicile, le dos tourné au tram qui arrivait. Elle s’est engagée brusquement sur les rails en regardant son téléphone portable et a été happée par le véhicule. L’accident s’est produit par beau temps, sur une ligne droite et dans de bonnes conditions de visibilité.

La victime ouvre une action partielle contre la commune responsable de l’exploitation du tram et demande le versement d’une indemnité pour tort moral. Après avoir limité la procédure à la question de la responsabilité, le Tribunal de district de Zurich admet la responsabilité de la commune dans son principe.Lire la suite

La responsabilité des administrateurs victimes d’une escroquerie au Président

TF, 29.06.2021, 4A_344/2020, 4A_342/2020

L’administrateur victime d’une escroquerie au Président est responsable du dommage qui en découle pour la société lorsqu’il aurait dû déceler la supercherie (violation fautive du devoir de diligence).

Faits

Une société suisse est administrée par deux personnes avec pouvoir de signature collective à deux. Elle fait partie d’un groupe de sociétés et s’occupe principalement de recevoir les paiements de factures adressées aux clients du groupe.

En 2011, la société suisse est victime d’une « escroquerie au Président ». En résumé, un escroc contacte le premier administrateur en se faisant passer pour le président du groupe. Il lui mentionne un transfert urgent et confidentiel en raison d’un contrôle fiscal inopiné. L’administrateur pose une question de sécurité à son interlocuteur, lequel y répond correctement (soit le fait qu’il joue au polo). Conformément à cette conversation, une tierce personne contacte l’administrateur par téléphone. Ce tiers confirme les difficultés du président du groupe et souligne le caractère confidentiel du transfert. L’administrateur reçoit ensuite une facture par courriel d’une adresse électronique très proche de celle du président du groupe. Conformément à leur pratique, l’administrateur enregistre l’ordre de transfert et informe le second administrateur des circonstances entourant le transfert afin que celui-ci l’approuve.… Lire la suite

La méthode de calcul du dommage pour perte de soutien

ATF 147 III 402TF, 18.05.2021, 4A_389/2020 et 4A_415/2020*  

En cas de décès, la méthode abstraite est la seule pertinente concernant le calcul d’un dommage pour perte de soutien. Si les revenus du patrimoine ne constituaient pas une prestation du soutien envers le soutenu, il y a lieu de les imputer comme avantage. Les rendements et revenus provenant d’une assurance-vie doivent être imputés sur le dommage.

Faits

Une cycliste décède dans accident de la route laissant derrière elle un veuf et deux enfants. 14 ans après l’accident, l’AVS et la fondation LPP à laquelle la défunte était affiliée ouvrent action auprès du Tribunal de commerce de Zurich contre l’assurance responsabilité civile du conducteur du camion fautif. Les demanderesses cherchent à obtenir un montant d’environ CHF 1 million correspondant à l’indemnisation des prestations fournies au veuf et aux enfants de la défunte, sur la base des droits qui leur sont subrogés.

Le Tribunal de commerce fait partiellement droit à la demande, en condamnant l’assurance RC à payer aux assurances subrogées un montant de respectivement CHF 183’801 et CHF 265’725. Tant les assurances subrogées (l’AVS et la fondation LPP) que l’assurance RC du conducteur du camion recourent contre cette décision au Tribunal fédéral, lequel est amené à examiner les conditions de l’indemnisation des prestations d’assurances et l’étendue de celles-ci.… Lire la suite