L’interprétation d’un ordre de bourse : acheter un call ou cent calls ?

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TF, 12.01.2022, 4A_9/2021

L’ordre d’achat d’un instrument financier est une manifestation unilatérale de volonté. Si l’ordre d’un client portant sur une opération complexe est imprécis, la banque n’est pas responsable de sa mauvaise exécution.

Faits

Un conseiller professionnel externe recommande à un client d’acheter 100 options de la société Actelion. Le client se rend auprès de sa banque et demande à l’employé que l’opération se fasse immédiatement. L’employé remplit alors un formulaire interne d’ordre de bourse.

Le formulaire d’ordre de bourse indique, d’une part « 1 contrat de 100 calls » et, d’autre part, « acheter – 100 – call strike 160.- actions Actelion ».

Rappelons ici qu’une option call est un contrat qui donne le droit d’acquérir un sous-jacent, par exemple une action, à un certain prix (strike). Le titulaire de l’option n’est néanmoins pas forcément obligé d’exercer l’option, mais peut en particulier la revendre sur le marché secondaire.

Afin d’exécuter immédiatement l’ordre de bourse, l’employé appelle ses collègues de la salle des marchés en présence du client. Il s’ensuit deux conversations téléphoniques. Lors de celles-ci, le client n’entend que ce que dit l’employé, mais non les réponses de la collègue de la salle des marchés. Les deux employés au téléphone croient comprendre que le client veut acheter un seul call (c’est-à-dire un contrat permettant d’acheter 100 actions) et non cent calls (100 fois 100 options).

Après cet entretien, le client verse CHF 20’000.- sur son compte et demande la confirmation de son ordre de bourse.

Le compte du client est débité de CHF 277.20 (équivalent au montant brut de CHF 157.- pour le call, plus une commission de CHF 120.20) pour l’achat d’un (seul) call (ce qui représente 100 options, et non 100 calls). Il ne reçoit néanmoins pas la confirmation, malgré plusieurs demandes.

Quelques jours après, le cours de l’action Actelion subit la plus forte hausse de son histoire. Le lendemain, le client téléphone à l’employé et découvre à cet instant que la banque n’a acheté qu’un seul call, et non 100 calls.

Le client saisit les tribunaux vaudois afin d’obtenir le montant de CHF 558’657.-, soit le gain qu’il aurait réalisé si la banque avait acheté 100 calls.

Tant la Chambre patrimoniale que la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois admettent la demande du client (cf. PT17.021253-191842). En résumé, elles considèrent que le client avait bel et bien communiqué son intention d’acheter 100 calls. Si la banque avait considéré l’instruction comme imprécise, elle aurait dû demander des clarifications au client. Par ailleurs, le client a directement réagi dès qu’il a découvert l’erreur de la banque.

Saisi d’un recours de la banque, le Tribunal fédéral est amené à préciser l’interprétation d’un ordre de bourse.

Droit

Lorsque la banque et le client sont liés par une relation bancaire de simple compte/dépôt bancaire (execution only), la banque ne peut effectuer une opération d’achat ou de vente déterminée sur le compte du client que sur instructions ou avec l’accord de celui-ci.

Les ordres d’achat ou de vente d’instruments financiers sont des manifestations de volonté unilatérales du client, sujettes à réception par la banque.

Afin d’interpréter une manifestation de volonté unilatérale, le tribunal doit d’abord déterminer la volonté réelle des parties (art. 18 CO applicable par analogie). S’il n’y parvient pas ou si le destinataire ne l’a pas comprise, le tribunal doit procéder à une interprétation selon le principe de la confiance (interprétation objective).

En l’espèce, la Cour d’appel vaudoise a uniquement examiné la manifestation de volonté du client, sans déterminer comment la banque l’avait comprise. Partant, elle a violé les règles d’interprétation susmentionnées.

Le Tribunal fédéral examine alors les échanges entre le client et l’employé durant l’entretien téléphonique de ce dernier avec sa collègue de la salle des marchés. Le Tribunal fédéral en conclut que la Cour d’appel a constaté les faits de manière arbitraire. Il reproche notamment au client d’avoir été imprécis : « Un client qui veut passer une opération de bourse complexe doit avoir conscience de l’objet et de la portée de celle-ci et pouvoir donner des instructions claires et précises à la banque. Or, l’une et l’autre font défaut en l’espèce » (mise en évidence ajoutée).

Amené à interpréter la manifestation du client, le Tribunal fédéral considère que la volonté réelle des parties est établie, dans la mesure où le sens compris par la banque correspond au sens déclaré par le client. Il ne peut donc être reproché à la banque de n’avoir pas sollicité des précisions de la part du client.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours de la banque et déboute le client de sa demande.

Note

Nous peinons malheureusement à comprendre la conclusion du Tribunal fédéral.

Après avoir examiné les faits, le Tribunal fédéral conclut que le « [l]e sens compris par la banque correspond[..] au sens déclaré par le client » et, qu’ainsi, « la volonté réelle est établie ».

Or, la volonté réelle est établie lorsque la volonté interne des parties converge (interprétation subjective). Elle ne dépend pas du « sens déclaré » par l’une ou l’autre partie. Au contraire, le « sens déclaré » est pertinent lorsqu’il faut interpréter le contrat (ou la manifestation de volonté) selon le principe de la confiance (interprétation objective). Pour rappel, « [l]’interprétation selon le principe de la confiance consiste à rechercher comment chacune des parties pouvait et devait comprendre de bonne foi les déclarations de l’autre, en fonction du contexte dans lequel elles ont traité » (4A_643/2020 consid. 4.2.2).

En l’espèce, il ressort clairement des faits que le client voulait acheter 100 calls. Il a d’ailleurs versé le montant correspondant à cet achat sur son compte. Malheureusement, le client a (très) mal communiqué sa volonté à la banque. Il est manifeste que les parties ne se sont pas comprises. La lecture des extraits des conversations téléphoniques le démontre également (cf. PT17.021253-191842).

Étant donné que la banque n’a pas compris ce que le client voulait (achat d’un seul call alors que le client en voulait 100), le Tribunal fédéral aurait dû procéder à une interprétation objective.

Fabien Liégeois est également critique vis-à-vis de cet arrêt et émet une hypothèse intéressante :

« Il n’est pas évident de conclure, comme le Tribunal fédéral, que ce qu’a déclaré le client correspondait à sa volonté réelle, d’autant plus que son pouvoir de cognition était limité à l’arbitraire sur cette question de fait. Quelque chose d’autre aurait-il convaincu les juges ? Le conseil qu’a reçu Jean peut sembler suspect, tout comme son empressement à transmettre l’ordre. Ce n’est qu’une hypothèse. Quand le verbe est confus et les actes hésitants, pourquoi ne pas tenter de lire entre lignes ? » (Fabien Liégeois, Contrat de mandat : Question d’interprétation à un demi-million, 1 ou 100 options call ?, publié le : 09 février 2022 par le Centre de droit bancaire et financier, https://cdbf.ch/1222/).

La même hypothèse est d’ailleurs articulée par le journaliste au Temps Sébastien Ruche :

« Reste une hypothèse : les juges du TF ont peut-être subodoré l’existence d’un délit d’initié derrière cet ordre de bourse particulièrement bien inspiré de la part d’un néophyte qui ne comprenait manifestement pas totalement ce qu’il faisait. Donner raison à la banque a peut-être permis à la Cour suprême d’annuler un gain illicite. Mais dans ce cas, le TF a totalement écarté une réalité bien établie dans le monde de l’investissement et validée scientifiquement : « better lucky than smart  » (mieux vaut avoir de la chance que du talent) ».

Proposition de citation : Célian Hirsch, L’interprétation d’un ordre de bourse  : acheter un call ou cent calls  ?, in : www.lawinside.ch/1143/